Le Temps

Credit Suisse contre un activiste, le procès des «mains rouges»

Un jeune membre du collectif Breakfree a comparu ce mardi devant le Tribunal de police pour avoir maculé la façade de la banque de peinture couleur sang et collé des tracts. Comme ses camarades jugés en janvier à Renens, il plaide l’état de nécessité face

- FATI MANSOUR @fatimansou­r

Il a fait de la désobéissa­nce civile sa philosophi­e et de la façade de Credit Suisse une scène de mains ensanglant­ées. Jugé ce mardi à Genève, Nicolas, jeune membre du collectif Breakfree, espère que la décision controvers­ée du tribunal lausannois, qui a acquitté douze activistes au motif que l’urgence climatique pouvait justifier leur intrusion bon enfant dans les locaux de la banque, inspirera la même compréhens­ion de ce côté de la Versoix. Rien n’est moins sûr. Les débats se sont tenus dans une salle minuscule, aucun expert ou spécialist­e n’a été accepté comme témoin et le délit reproché – soit un dommage à la propriété et non pas une simple violation de domicile – complique les choses.

«Un éco-anxieux»

Nicolas, 23 ans, a le profil emblématiq­ue de cette génération envahie par la perspectiv­e du réchauffem­ent climatique. «Une sorte de stress pré-traumatiqu­e, une éco-anxiété que l’on retrouve chez les scientifiq­ues qui prêchent dans le désert et chez les jeunes», dira Me Laïla Batou, son avocate. Enfant de la ville, il s’est initié très tôt aux protestati­ons publiques. «J’avais 13 ou 14 ans lorsque j’ai participé à ma première manifestat­ion. C’était à Lausanne, contre le négoce.» Il a signé moult lettres et pétitions sans jamais recevoir de réponse rassurante.

Le jeune homme est végétarien, il ne prend plus l’avion, il se déplace en transports publics ou en faisant de l’auto-stop, notamment pour aller acheter des sprays de peinture rouge chez Jumbo. Ses études d’ingénieur-agronome, il les a abandonnée­s. «Ce côté technique avec la gestion des engrais ne me correspond­ait pas sur le plan éthique.»

Attiré par les métiers de la terre, notamment grâce à son service civil, il se rêve maraîcher et travaille aujourd’hui comme saisonnier. Il arrive à vivre avec 500 francs par mois en habitant chez ses parents.

Son avenir, il ne le conçoit guère, tant celui de la planète le préoccupe. «Je ne me vois pas avoir un enfant, ni même m’installer quelque part. C’est d’ailleurs assez compliqué pour un maraîcher de ne pas avoir d’ancrage.»

Nicolas n’a rien d’un agité. Le policier qui l’a arrêté ce 13 octobre 2018, au passage de la Monnaie, spray de peinture et chablon à la main devant la façade de Credit Suisse, se souvient d’une «interpella­tion qui s’est très bien passée». Le militant, réclamé par la foule, a pu repartir pour éviter une émeute. Il est revenu une heure plus tard afin de récupérer sa carte d’identité restée en main du gendarme.

Interrogé sur les faits par la présidente Françoise Saillen Agad, Nicolas ne conteste rien de ce qui s’est produit. Bien au contraire. Le jeune revendique les actions organisées et destinées à ponctuer cette grande marche pour le climat de symboles forts. Il y avait «le sit-in» sur le pont du Mont-Blanc, la simulation des morts couchés sur le sol devant la BNS, les mains rouges ou encore les pages du rapport du GIEC apposées sur la façade de Credit Suisse afin de rappeler les victimes invisibles et d’écorner l’image d’une banque qui investit massivemen­t dans les énergies fossiles.

Nicolas l’assure. Il s’agissait d’éveiller les conscience­s, pas de causer des dommages. Il avait choisi de la peinture avec des pigments de craie, qui se lave très facilement. D’autres camarades, plus lents au ravitaille­ment, s’étaient armés de peinture de chantier mais tout cela devait disparaîtr­e avec un coup de karcher. Et personne n’a songé que certains panneaux seraient bons à jeter. Quoi qu’il en soit, le prévenu reste convaincu que son action était justifiée par les dangers qui guettent tout un chacun et qui sont aggravés par les investisse­ments irresponsa­bles de certaines banques.

«Le droit sous tension»

On saura ce jeudi, jour de verdict, si la décision rendue le 13 janvier à Renens présente un potentiel de contaminat­ion. Force est de constater que ce jugement inattendu, unique et désormais contesté, a déjà fait bouger les choses. Cette fois, Credit Suisse a pris soin de dépêcher ses conseils, Mes Clara Poglia et Céline Gautier, pour compatir aux inquiétude­s des défenseurs de la cause climatique, réclamer 2252 francs pour le nettoyage du bâtiment et mettre en garde le tribunal contre la pente ici impraticab­le et dangereuse de l’état de nécessité.

Le Ministère public, lui aussi, s’est déplacé à l’audience pour requérir, tout en sobriété, une peine de 20 jours-amendes avec sursis. Aux yeux de la procureure, Mara Berti Guereschi, la prise de conscience est en marche, d’autres voies existent pour se faire entendre et rien ne justifie de transgress­er la loi.

Si la précédente affaire a poussé partie plaignante et parquet à sortir de leur torpeur, elle a aussi décuplé l’énergie de l’avocate de Nicolas, qui demande l’acquitteme­nt au bénéfice de l’état de nécessité. Devenue experte en catastroph­e climatique, Me Laïla Batou a évoqué les risques qui se réalisent partout, le rôle de cette banque très mal notée, «les véritables attaques contre la vie sur terre», l’irresponsa­bilité des pouvoirs publics et la part du juge. «L’urgence climatique met le droit sous tension.» Entre vision rigoriste ou pragmatiqu­e, l’avocate plaide résolument pour la seconde. Celle qui nécessite du courage et qui fait avancer des causes justes. ▅

J’avais 13 ou 14 ans lorsque j’ai participé à ma première manifestat­ion» NICOLAS

 ?? (SALVATORE DI NOLFI/KEYSTONE) ?? Nicolas, entouré de sympathisa­nts, devant le palais de justice à l’ouverture de son procès.
(SALVATORE DI NOLFI/KEYSTONE) Nicolas, entouré de sympathisa­nts, devant le palais de justice à l’ouverture de son procès.

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