Accord sur le nucléaire iranien, un chiffon de papier?
14 juillet 2015, Vienne: les «E3/EU+3» (France, Allemagne, Royaume-Uni, Chine, Russie et Etats-Unis) concluent avec l’Iran le Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA). En point de mire de cet accord, l’assurance renouvelée que le programme nucléaire iranien est exclusivement pacifique, accompagnée d’une feuille de route pour la levée des sanctions nationales, européennes et onusiennes.
20 juillet 2015, New York: dans sa résolution 2231, votée à l’unanimité, le Conseil de sécurité fait sien l’accord sur le nucléaire iranien. La conséquence directe de cet endossement par l’ONU est d’étendre le respect de l’accord à l’ensemble des membres de l’Organisation.
8 mai 2018, Washington: fidèle à ses promesses de campagne, Donald Trump annonce se retirer unilatéralement de l’accord. Les Etats-Unis réinstaurent leurs sanctions.
Désavoué sur le plan politique, le retrait américain est tout aussi discutable du point de vue du droit international. Conclu sous la présidence Obama, l’accord iranien n’en lie pas moins l’administration de son successeur. L’accord – qui est un véritable traité international, et est, à ce titre, contraignant en droit – ne comporte pas de procédure de retrait. Cette absence de procédure signifie que, pour être valable, le retrait aurait dû être accepté par tous les autres Etats parties à l’accord. L’annonce du retrait, suivie de la reprise de sanctions, constitue une violation grave de l’accord, de nature à remettre en cause radicalement sa mise en oeuvre. Intervenu en marge du droit, le retrait des Etats-Unis n’est donc pas valide. Suite à l’annonce américaine, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni avaient déclaré dans un communiqué conjoint du 8 mai 2018 que la résolution 2231, qui incorporait le texte de l’accord, «demeure le cadre international juridiquement contraignant pour la résolution des différends liés au programme nucléaire iranien». Cette résolution, qui n’a d’ailleurs pas été répudiée par le Conseil de sécurité, continue à lier les Etats-Unis.
Ces conclusions juridiques n’ont jusqu’à récemment pas eu d’écho; les Etats-Unis n’assistent plus aux réunions de la commission chargée de suivre l’application de l’accord. L’assassinat du général Soleimani et la procédure d’impeachment ont rendu illusoire un retour des Etats-Unis à de meilleures dispositions vis-à-vis de l’accord. Quant à l’Iran, il a annoncé fin décembre dernier reprendre son programme nucléaire.
Toute considération politique écartée, quels outils reste-t-il au juriste? L’accord sur le nucléaire iranien prévoit un mécanisme de conciliation. En cas de différend relatif à l’application de l’accord, une phase initiale – et obligatoire – de consultation doit s’ouvrir. Ce n’est qu’en cas d’échec de cette étape qu’un Etat partie peut, en toute légalité cette fois, considérer le différend comme une violation grave empêchant la mise en oeuvre de l’accord et cesser de l’appliquer. L’Etat partie, plutôt que de répudier l’accord au terme de cette phase, peut aussi saisir le Conseil de sécurité afin de trouver une solution au différend. Force est de constater que les EtatsUnis n’ont pas mis en oeuvre cette procédure de résolution, ni suite à l’annonce de leur soi-disant retrait, ni par après.
Le 14 janvier dernier, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont conjointement activé le mécanisme de résolution des différends prévu dans l’accord. Cette démarche, presque passée inaperçue dans la presse internationale (édition du 15 janvier), est la meilleure réaffirmation de l’attachement européen à l’accord sur le nucléaire et au droit international. Suite à l’activation du mécanisme, des discussions sont en cours entre le haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et le ministre des Affaires étrangères iranien.
La résolution 2231, nullement révoquée par les agissements américains, demeure contraignante, tout comme l’accord iranien. En cas de blocage répété du Conseil de sécurité dû au jeu croisé des veto, l’Assemblée générale pourrait décider de se saisir de la question, en vertu de sa compétence subsidiaire en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationale.
En conclusion, nous ne cesserons de répéter jusqu’à la nausée que le non-respect du droit international, de part et d’autre, et l’affaiblissement du multilatéralisme dans les relations internationales, porte atteinte à terme aux intérêts (sécuritaires) des Etats, puissants et moins puissants. De surcroît, et l’histoire moderne des relations internationales le montre, c’est un leurre de croire qu’une approche unilatéraliste serve les intérêts des Etats puissants à court terme. Cela n’est hélas qu’un slogan souverainiste, aussi bien pour les démocraties libérales que pour les Etats totalitaires. Il n’y a pas de salut en dehors du multilatéralisme et du droit international (contemporain) qui le sous-tend: l’Etat est un animal social, en paraphrasant le philosophe. ▅
Intervenu en marge du droit, le retrait des Etats-Unis n’est donc pas valide