Le coronavirus perturbe l’usine du monde
Les mesures strictes prises en Chine pour limiter les transports affectent la chaîne d’approvisionnement globale. Apple évoque notamment une «pénurie d’iPhone». Certaines entreprises suisses sont paralysées
Les images font le tour de l’internet chinois: des milliers d’oeufs dans un entrepôt, qui vont périmer faute de transports pour les acheminer vers les points de vente. Il y a aussi ce fermier qui relâche dans la nature des milliers de canards, parce qu’il n’a plus de quoi les nourrir, là aussi parce que les routes sont bloquées. Alors que la Chine se barricade pour enrayer la contagion du virus Covid-19, coupant des routes, fermant villes et villages, la paralysie du pays a de graves conséquences pour l’économie chinoise et mondiale.
D’après la Chambre de commerce Suisse-Chine, seules les entreprises de la santé qui peuvent vendre en ligne sont épargnées par la crise, car prioritaires aux yeux des autorités chinoises. Tous les autres secteurs sont plus ou moins affectés. Les autorités ont déjà annoncé des mesures d’aide exceptionnelles: baisses de taxes, extensions de lignes de crédit… En 2003, le SRAS avait coûté au moins 2% de croissance à la Chine et 0,1% du produit intérieur brut mondial.
Mais la Chine d’aujourd’hui pèse beaucoup plus lourd dans l’économie mondiale. Surtout, à l’époque, la consommation des ménages représentait à peine plus de 40% du PIB, contre environ 60% aujourd’hui. Pour l’instant, le Fonds monétaire international prévoit un impact similaire sur l’économie mondiale (0,1% à 0,2%) mais tout va dépendre de la date à laquelle l’économie chinoise reprendra son court normal.
Le «profit warning» d’Apple
Apple, qui assemble ses produits en Chine et se fournit largement en composants dans le pays, a prévenu mardi que son chiffre d’affaires du premier trimestre serait inférieur à ses prévisions. Son action perdant plus de 2% au Nasdaq dans la foulée. «Le retour aux conditions normales prend plus de temps que nous n’avions anticipé», détaille le groupe californien, évoquant une «pénurie d’iPhone qui va temporairement affecter nos revenus dans le monde».
Apple compte certains de ses fournisseurs à Wuhan, alors que les principales usines d’assemblage des iPhone, gérées par Foxconn, sont situées au Henan et au Guangdong, deux provinces affectées par le virus. Résultat, l’approvisionnement en iPhone pourrait être «temporairement contraint». Comme toutes les multinationales, Apple compte aussi sur la classe moyenne chinoise pour assurer une part de ses ventes, mais nombre de ses boutiques restent fermées.
Les entreprises suisses ne sont pas épargnées. ABB, l’un des leaders mondiaux de l’électrification et de la robotique, présent dans l’Empire du Milieu, est particulièrement exposé. «Sur nos 23 000 employés dans le pays, nous avons deux cas suspects, a révélé Magnus Callavik, son directeur général en Chine. Nous avons aussi des employés qui ont passé le Nouvel An à Wuhan, et qui y sont coincés. D’autres vivent à Pékin, mais sont aussi rentrés dans leur famille pour le Nouvel An et doivent faire quatorze jours de quarantaine à l’hôtel, avant d’être acceptés par leur résidence…», a détaillé le directeur lors d’une conférence téléphonique organisée par la Chambre de commerce suisse.
Weidmann est encore plus touché. Le spécialiste saint-gallois des transformateurs électriques, compte 400 employés en Chine dont 180 dans son usine de Wuhan. «L’activité est complètement stoppée», indique Chen Liu, le directeur général de son antenne chinoise.
Autre souci, la logistique. «Les camions ont des problèmes pour passer d’une province à l’autre, mais la situation s’améliore doucement, assure le patron. Au Zhejiang (province au sud de Shanghai) les sorties d’autoroute sont progressivement rouvertes. Par contre, le fret aérien est très limité parce que beaucoup de compagnies aériennes ont suspendu leurs vols pour la Chine.» Les nouvelles Routes de la soie chinoises offrent toutefois une alternative intéressante pour desservir l’Europe: le rail, vers lequel Weidmann a renvoyé une partie de ses cargaisons.
«C’est une situation unique parce que toute l’industrie horlogère suisse est impactée, aussi bien au niveau des débouchés que de l’approvisionnement»
OLIVIER R. MÜLLER, CONSULTANT
L’horlogerie suisse devrait souffrir encore plus. «C’est une situation unique parce que toute l’industrie est impactée, aussi bien au niveau des débouchés que de l’approvisionnement. Même pour les marques qui font tout fabriquer en Suisse, comme Patek Philippe, les écrins viennent de Chine, explique Olivier R. Müller, consultant pour l’industrie de l’horlogerie. Là où le bât blesse vraiment, c’est l’approvisionnement en composants pour les montres «Swiss made», mais dont tout l’habillage est fabriqué en Asie. On voit ainsi la fragilité du modèle économique de ceux qui ne jouent pas le jeu de l’appellation.»
Les marques les plus exposées sont celles qui font produire le plus en Chine, qui dépendent beaucoup de ce pays pour ses ventes. Pour cet ancien responsable logistique, cette crise est loin d’être résolue. «Quand vous coupez une chaîne d’approvisionnement, vous ne pouvez pas tout rebrancher du jour au lendemain: cela ne sera pas résolu en quelques semaines.» ▅