Le Temps

Les incertitud­es suisses autour de la vente de Bombardier

- BERNARD WUTHRICH, BERNE @BdWuthrich

Sous réserve du feu vert des autorités de la concurrenc­e, Alstom va racheter la division transport ferroviair­e du groupe canadien. Le site vaudois de Villeneuve est en pleine effervesce­nce: on y assemble les trains à deux étages des CFF. Mais quel sera son avenir en mains françaises?

Pour l'instant, le sort du site de production de Villeneuve (VD) n'inquiète pas trop les autorités. «Les carnets de commandes sont pleins et les compétence­s technologi­ques du site n'existent pas chez Alstom», fait-on savoir du côté du Départemen­t vaudois de l'économie, de l'innovation et du sport (DIES) de Philippe Leuba. «A court terme, c'est plutôt rassurant pour l'emploi», renchérit Olivier Français (PLR/VD), membre de la Commission des transports du Conseil des Etats. A plus long terme, toutefois, la reprise du secteur transport ferroviair­e du constructe­ur canadien Bombardier (BT) par le groupe français Alstom, officialis­ée lundi, laisse planer davantage d'incertitud­es. Pour deux raisons.

Premièreme­nt, les 530 employés des ateliers de Villeneuve, dont une part importante de frontalier­s, s'affairent à assembler les trains à deux étages commandés par les CFF à Bombardier. Or, la livraison de ce matériel est bien chaotique. Des problèmes techniques restent irrésolus. Vingtneuf des 62 rames promises ont été livrées aux CFF, et 18 circulent entre Bâle, Zurich et Coire. «Les autres sont utilisées pour les tests et la formation», précise Jean-Philippe Schmidt, porte-parole des CFF. Mais ces compositio­ns rutilantes et modernes ne sont pas en service sur l'axe Genève-SaintGall, auquel elles sont pourtant destinées. «Nous devons avoir suffisamme­nt de rames fiables livrées pour pouvoir les engager sur cette ligne», ajoute-t-il.

Besoin de trains en plus

La production ira à son terme, mais il n'est pas sûr que les CFF commandent d'autres rames au constructe­ur canadien, qui va passer en mains françaises. Le contrat signé il y a dix ans prévoit une option pour une série additionne­lle, mais les CFF ne pipent mot à ce sujet pour l'instant. Ils

«A court terme, c’est plutôt rassurant pour l’emploi»

OLIVIER FRANÇAIS (PLR/VD), MEMBRE DE LA COMMISSION DES TRANSPORTS DU CONSEIL DES ETATS

auront pourtant besoin de trains supplément­aires, assure un connaisseu­r de l'entreprise. Les CFF restent tout aussi discrets sur les pénalités qu'ils pourraient demander à Bombardier pour les retards et défauts techniques constatés sur les véhicules livrés. Ces décisions seront prises par le nouveau directeur Vincent

Ducrot, qui succédera à Andreas Meyer en avril.

Deuxièmeme­nt, Alstom n'est pas un groupe industriel comme les autres. Il appartient à 56% à des actionnair­es français, essentiell­ement Bouygues (14,7%) et des investisse­urs institutio­nnels. Il est perçu comme un protégé des autorités politiques françaises. La Suisse s'en est aperçue avec le Léman Express. Elle rêvait d'une flotte commune, qu'elle souhaitait faire construire par Stadler Rail, à qui, il faut le préciser, elle n'a pas attribué toutes ses adjudicati­ons par le passé. La Région Rhône-Alpes ne l'a pas entendu de cette oreille. C'est pourquoi deux types de train cohabitent sur le réseau lémano-savoyard: 23 rames Flirt fournies par Stadler pour 236 millions de francs et 17 Régiolis par Alstom pour 220 millions d'euros.

Concurrenc­e chinoise

Faut-il craindre pour la survie du site de Villeneuve? «A long terme, on peut avoir des craintes», répond Olivier Français. Porte-parole de BT à Berlin, Eric Prudhomme déclare que «les détails du modèle de fonctionne­ment après la clôture n'ont pas encore été entièremen­t convenus». Il annonce que ces détails seront fournis ultérieure­ment et que, le cas échéant, des consultati­ons menées avec les personnes concernées.

Ces réflexions s'inscrivent dans le cadre de la reprise par Alstom de BT. Bombardier et la Caisse de dépôt et de placement du Québec vont vendre leurs participat­ions dans BT pour 8,2 milliards de dollars. Après correctifs comptables liés à la dette et aux capitaux propres de la Caisse, Bombardier touchera un produit net de 4,2 à 4,5 milliards de dollars. Les conseils d'administra­tion des deux groupes ont approuvé la signature du protocole d'entente à l'unanimité. La transactio­n doit être approuvée par les autorités de la concurrenc­e. En particulie­r par celle de l'Union européenne, qui avait refusé récemment la fusion entre Alstom et Siemens.

Mais la situation est différente aujourd'hui. D'une part, le groupe Bombardier, qui ne conservera que sa division aviation, est endetté. De l'autre, il s'agit de faire rempart contre l'émergence d'un géant planétaire, China Railroad Rolling Stock Corporatio­n (CRRC), qui se développe déjà fortement en Asie. Pour le président de BT, Danny Di Perna, cité dans un communiqué, il y a une «grande complément­arité géographiq­ue et de produits» entre BT et Alstom. L'opération permettra de «répondre à la demande mondiale croissante du transport ferroviair­e» et de réaliser des économies d'échelle. Elle peut aussi ouvrir de nouvelles perspectiv­es aux «petits» comme Stadler. ▅

 ?? (LAURENT GILLIERON/KEYSTONE) ?? Les nouveaux trains à deux étages commandés par les CFF sont assemblés par 530 employés sur le site de Bombardier à Villeneuve (VD).
(LAURENT GILLIERON/KEYSTONE) Les nouveaux trains à deux étages commandés par les CFF sont assemblés par 530 employés sur le site de Bombardier à Villeneuve (VD).

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