Le Temps

La Suisse reste un havre pour l’argent sale

- RAM ETWAREEA @rametwaree­a

Selon le hit-parade des Etats pratiquant le secret bancaire compilé par Tax Justice Network, la place suisse marque des points grâce aux accords sur l’échange automatiqu­e d’informatio­ns

La Suisse n’est plus sur la plus haute marche du podium des paradis fiscaux. Une position qu’elle a tenue depuis 2011, date à laquelle Tax Justice Network (TJN) a commencé son classement annuel des pays selon leur degré d’opacité bancaire. Selon l’édition 2020 publiée mardi, elle est devenue un brin plus transparen­te et coopérativ­e, se trouvant désormais en troisième position, devancée par les îles Caïmans et les Etats-Unis.

Le classement de TJN, une ONG internatio­nale qui traque le mouvement de l’argent sale, se base sur un indice composite. Si la Suisse se trouve dans une meilleure position en 2020, c’est qu’elle a étendu son réseau internatio­nal d’échange automatiqu­e d’informatio­ns, des renseignem­ents sur les clients des banques à plus de 100 pays. «Un axe anglo-américain formé des îles Caïmans, des Etats-Unis et du Royaume-Uni joue les premiers rôles en matière de corruption et d’abus fiscal», affirme le rapport.

L’exemple d’Isabel dos Santos

Mais au fait, peut-on aujourd’hui ouvrir un compte en Suisse sans être questionné sur la source de son argent? «Oui, répond Dominik Gross, spécialist­e de la politique financière et fiscale à Alliance Sud, une coalition d’ONG qui oeuvre en faveur des pays en développem­ent. Les personnes fortunées, plus particuliè­rement des pays du Sud, peuvent mettre leur argent à l’abri dans notre pays sans risque d’être interpellé­es par les autorités fiscales.» La preuve, selon lui, est démontrée par les LuandaLeak­s. Isabel dos Santos, la fille de l’ancien président d’Angola, a opéré par le biais de constructi­ons offshore suisses sans être inquiétée.

Le mois dernier, c’est Kristalina Georgieva, directrice du Fonds monétaire internatio­nal, qui dénonçait les flux d’argent sale. «Sept mille milliards de dollars, soit 8% du PIB mondial, sont placés dans des centres financiers offshore, dont une partie importante provient des activités illicites», a-t-elle relevé dans un discours prononcé à Rome.

Selon Dominik Gross, la Suisse devrait aider les pays du Sud à respecter les normes de l’OCDE afin que ces derniers rejoignent les réseaux de pays ayant adopté le système d’échange automatiqu­e d’informatio­ns. Le spécialist­e d’Alliance Sud demande aussi que la Suisse introduise un registre public des personnes qui possèdent des sociétés offshore en Suisse. «Les pays de l’Union européenne sont en train de mettre en place un tel registre», affirme-t-il.

Un classement contesté

Philippe Braillard, professeur honoraire à l’Université de Genève et ancien directeur de l’Institut universita­ire d’études européenne­s, s’offusque des reproches faits à la place financière suisse. En premier lieu, il met en cause la méthodolog­ie utilisée pour le classement des pays. Ensuite, il déplore que TJN considère tout argent placé dans des banques suisses par des étrangers comme provenant de sources douteuses. «L’ONG entretient volontaire­ment une confusion entre la protection de la sphère privée et le secret bancaire qui serait exclusivem­ent au service de l’évasion fiscale, du blanchimen­t et des activités financière­s criminelle­s, ce qui n’est de loin pas le cas.»

«Je peux concevoir que dans certains cas, des dirigeants de pays du Sud abusent de notre place financière, regrette Philippe Braillard. Mais le Conseil fédéral et le parlement suisse ont fait de grands efforts en termes d’échange automatiqu­e d’informatio­ns.» Selon lui, Berne a d’abord négocié des accords avec des pays avec qui les échanges sont les plus importants.

Double jeu américain

Sur le plan internatio­nal, TJN relève aussi que 49% du secret bancaire revient à des pays de l’OCDE, dont certains opèrent aussi en collaborat­ion avec des territoire­s d’outre-mer. C’est particuliè­rement les cas du Royaume-Uni, qui collabore directemen­t avec des entités offshore comme les îles Caïmans et Guernesey ou des Etats-Unis avec les îles Vierges et Curaçao.

En ce qui concerne les Etats-Unis, TJN note que malgré une certaine volonté exprimée par certains sénateurs, la législatio­n n’a pas été renforcée pour lutter contre l’évasion fiscale ou le blanchimen­t. En effet, Washington exige la transparen­ce en ce qui concerne ses propres contribuab­les à l’étranger, mais refuse de fournir des renseignem­ents à des pays tiers.

Le rapport 2020 de TJN reconnaît tout de même que la lutte contre l’opacité bancaire progresse. «C’est une bonne nouvelle, déclare Alex Cobham, directeur de l’ONG. En raison du secret bancaire, les cartels de la drogue sont solvables, les abus fiscaux restent une pratique courante et le trafic des humains une activité rentable. Mais désormais, la majorité des pays n’en veulent plus.» ▅

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