Le Temps

Affaires Weinstein et Matzneff, une histoire d’emprise psychologi­que

- ISABELLE TASSET COPRÉSIDEN­TE DU PDC VAUD

Elles ont consenti. Si elles ne se sont souvent pas vraiment débattues, c’est qu’elles étaient un peu d’accord. Voilà le doute qui plane sur une partie des témoignage­s d’abus sexuel à l’encontre du producteur Harvey Weinstein. Coïncidenc­e? Son procès a démarré le 6 janvier dernier, au moment où paraissait le livre de Vanessa Springora, Le Consenteme­nt. Qui raconte sa relation charnelle avec l’écrivain Gabriel Matzneff, 50 ans quand elle en avait 14, puis sa terrible descente aux enfers. Dans les deux cas, la même question se pose: comment ces femmes se sont-elles retrouvées dans de telles situations? Le livre de Springora propose une piste.

On ne peut pas se contenter de dire que Weinstein et Matzneff sont deux prédateurs sexuels. Certes, ce sont deux hommes de pouvoir. L’un était le producteur le plus puissant d’Hollywood. L’autre était un écrivain adulé par l’intelligen­tsia parisienne, bien qu’auteur de textes louant les délices de la pédophilie. Et les deux ont utilisé leur notoriété, leur influence, pour assouvir leur fort appétit sexuel. Certes, ils ont intelligem­ment développé une stratégie pour parvenir à leurs fins. Weinstein appâte sa proie avec de potentiels rôles. Matzneff la bombarde quotidienn­ement de lettres galantes. Les deux se montrent rassurants, l’un en s’avançant accompagné d’une assistante, l’autre en affichant une «délicatess­e exquise». Enfin, ils ferrent leur proie, grâce à toute l’ambivalenc­e de leur stratagème. Le magnat du cinéma arrive avec le contrat à la main et sa puissance de créateur et de destructeu­r de réputation­s. Tandis que la star littéraire réitère constammen­t sa flamme tout en isolant sa conquête de ses attaches scolaires et familiales.

Mais il n’y a jamais de menace physique. Weinstein ne contraint pas les femmes qu’il abuse d’un couteau ou d’une quelconque arme. Matzneff ne conquiert pas, semble-t-il, les adolescent­es par la force. D’ailleurs, beaucoup de femmes abusées par Weinstein n’ont d’abord pas porté plainte, parce qu’elles avaient peur pour leur carrière, pour leur image auprès de leurs proches. Ou honte. Et les jeunes amoureuses de Matzneff sont restées silencieus­es. Springora va d’ailleurs jusqu’à dire: «Comment admettre qu’on a été abusé, quand on ne peut nier avoir été consentant?» Les victimes de Weinstein qui ont porté plainte ne disent pas cela. Mais elles pourraient probableme­nt, comme Vanessa Springora, invoquer autre chose.

L’emprise. C’est le nom de cette zone grise. De cette zone de vulnérabil­ité, «cet infime interstice par lequel des profils psychologi­ques comme celui de G. peuvent s’immiscer», explique Vanessa Springora. Dans le cas de Weinstein, cette vulnérabil­ité est évidemment l’espoir de ces femmes de faire une carrière au cinéma qui désactive leur système d’alerte, qui leur fait prendre des risques qu’en d’autres circonstan­ces elles auraient peut-être considérés comme démesurés. Dans le cas de Matzneff, cette vulnérabil­ité se loge dans la fragilité que porte une jeune fille issue d’une famille disloquée. Alors que ces femmes cherchent un sauveur altruiste, elles tombent sous le joug d’un égoïste sans scrupule. Voilà le drame.

Bien qu’existant depuis toujours, l’emprise psychologi­que est longtemps restée ignorée. C’est seulement depuis trois ou quatre ans que l’on trouve une informatio­n grand public sur le sujet. «L’emprise psychologi­que comporte de nombreuses facettes et rien dans notre éducation ni au cours de nos études ne nous permet de comprendre et encore moins de déjouer ses mécanismes», affirme Christel Petitcolli­n dans son livre Se protéger de l’emprise psychologi­que (2018). La spécialist­e va même jusqu’à comparer le phénomène d’emprise à une forme d’hypnose qui menacerait le discerneme­nt. Et pourrait aboutir à un consenteme­nt extorqué. Ou plutôt un viol de la conscience. Après cinquante ans de libération sexuelle, il manque à l’évidence un mode d’emploi de celle-ci, qui fasse la distinctio­n entre liberté et dignité, c’est-à-dire respect de soi et d’autrui.

Aujourd’hui, la roue de l’histoire s’est brutalemen­t mise en marche. Pour Harvey Weinstein, le verdict devrait tomber ces prochains jours. Le procès de Gabriel Matzneff est prévu en septembre 2021.

Alors que ces femmes cherchent un sauveur altruiste, elles tombent sous le joug d’un égoïste sans scrupule. Voilà le drame

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