Le Temps

«Ne pas dire plus d’Europe, mais s’entendre sur quelle Europe»

- MARK MAZOWER PROPOS RECUEILLIS PAR R. W.

Pour l’universita­ire britanniqu­e Mark Mazower, l’Union européenne a besoin d’un examen de conscience. A commencer par l’Allemagne

Mark Mazower enseigne l’histoire de la Grèce contempora­ine et de l’Europe à l’Université américaine Columbia dont il dirige le campus parisien.

Entre le traumatism­e de la crise financière de 2008-2010 et celui du Brexit, lequel vous inspire le plus d’inquiétude­s? La crise de 2008-2009, sans hésiter! Je suis convaincu que l’Union européenne va survivre au Brexit. Elle survivra sans doute mieux que la Grande-Bretagne car ce n’est pas, pour l’UE, un moment existentie­l. Je ne crois pas que ce divorce fonctionne­ra comme un modèle. Au contraire. Il a jusque-là renforcé la solidarité entre les pays membres, ce que personne n’avait vraiment prévu. Pour moi qui suis pro-européen, le Brexit est un accident pour l’UE et un désastre pour le Royaume-Uni. Je suis en revanche beaucoup plus sévère, et beaucoup plus inquiet, sur les conséquenc­es du séisme financier qui a secoué l’Europe, et mis la Grèce à genoux, à partir de 2008. Les Grecs continuent d’être passionném­ent pro-européens, mais leur situation a illustré, en dix ans, tous les défauts de l’UE.

Vous pointez le rôle spécifique de l’Allemagne… Les Allemands ne comprennen­t pas que des pays peuvent suivre d’autres modèles économique­s que le leur, parce qu’ils ont apporté la preuve, ces dernières décennies, du bien-fondé de leur orthodoxie budgétaire. L’Allemagne a tiré de la Seconde Guerre mondiale et des années 1950 de mauvaises leçons. Elle a trouvé refuge, à mon sens, dans une mauvaise conception du leadership, que l’on pourrait décrire comme le syndrome du «professeur irréprocha­ble». Les Allemands pensent que l’Europe a des règles, et que leur rôle est de les faire respecter. Or il arrive souvent que respecter les règles ne soit pas la bonne solution. Dire sans cesse qu’il faut «plus d’Europe» n’est pas la solution. Il faut s’entendre sur quel type d’Europe on veut.

Plusieurs dirigeants de l’UE, dont Emmanuel Macron, utilisent une formule pour résumer votre inquiétude. Ils disent que l’Europe doit «protéger»… C’est de la rhétorique et elle sonne un peu vide. Je crois davantage à des percées concrètes dans des domaines dont il faut marteler l’importance pour que les gens comprennen­t. Ce que fait l’Union européenne pour la défense de la vie privée sur le numérique est essentiel. C’est une différence colossale avec le reste du monde. Mon inquiétude porte surtout sur l’économie. Je ne suis pas certain, par exemple, que la stabilité de l’euro, aujourd’hui présentée comme l’ultime protection pour les peuples des pays qui ont adopté la monnaie unique, soit une bonne ligne de défense pour le projet européen. ▅

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