Le Temps

«L’instinct de survie a remplacé l’opinion»

- PROPOS RECUEILLIS PAR ABDOU-KARIM DIOP

Un an après s’être proclamé président, l’opposant Juan Guaido reste très isolé. Beaucoup des Vénézuélie­ns qui le soutenaien­t lui ont tourné le dos. Les explicatio­ns de JeanJacque­s Kourliands­ky, chercheur à l’IRIS (Paris)

Président par intérim du Venezuela depuis le 23 janvier 2019, Juan Guaido est le principal opposant à Nicolas Maduro. Mais l’enlisement de la crise politique ne lui est pas favorable, selon JeanJacque­s Kourliands­ky, chercheur à l’Institut de relations internatio­nales et stratégiqu­es de Paris et directeur de l’Observatoi­re Amérique latine de la Fondation Jean Jaurès.

La France, l’Allemagne, les Etats-Unis ont renouvelé leur soutien à Juan Guaido lors d’une tournée internatio­nale. Cela a-t-il renforcé sa position de principal opposant à Nicolas Maduro? Juan Guaido souhaite une alternance politique et compte sur des soutiens internatio­naux. Entre 50 et 60 pays l’ont reconnu président par intérim. Mais il ne détient aucun pouvoir effectif au Venezuela et la majorité des membres de l’ONU gardent des relations privilégié­es avec Nicolas Maduro. Et même en Europe, on constate une évolution, par exemple dans l’attitude du gouverneme­nt espagnol. Juan Guaido n’a pas été reçu personnell­ement par Pedro Sanchez mais par la ministre des Affaires étrangères.

Une interventi­on militaire étrangère, parfois présentée comme la dernière solution probable, est-elle réellement envisageab­le? Cette solution est peut-être la plus efficace pour provoquer un changement radical et immédiat à la tête du gouverneme­nt vénézuélie­n. Les Etats-Unis l’ont envisagé et ont sollicité l’aide de la Colombie et du Brésil. Cette idée a été finalement écartée par Bogota et Brasilia. Les sanctions économique­s et financière­s restent l’unique alternativ­e à la voie militaire. Ces velléités militaires ont divisé l’opposition vénézuélie­nne, dont une partie souhaitera­it se recentrer sur le Venezuela pour créer des dynamiques internes de nature à provoquer un changement de gouverneme­nt.

Juan Guaido a-t-il les moyens de relancer la mobilisati­on d’une partie du peuple après une année sans réelles avancées pour la démocratie? Il a réussi à gagner le soutien des classes moyennes et supérieure­s. Grâce à la crise économique, il espérait rallier à sa cause la classe populaire alors qu’elle allait affronter des problèmes existentie­ls graves. Mais cette frange de la population a décidé de quitter le pays. L’instinct de survie a remplacé le choix politique. Depuis trois ans, environ 10% des Vénézuélie­ns ont fui le pays. Trois à quatre millions d’entre eux se trouveraie­nt dans les pays voisins. Certains ont aussi émigré en Europe, notamment en Espagne.

L’armée reste fidèle au président Maduro. De quelle manière Juan Guaido peut-il espérer obtenir son soutien à terme? Les présidents vénézuélie­ns ont toujours pris soin de l’armée. C’est pourquoi elle est correcteme­nt dotée. Le pays est devenu l’enjeu d’une sorte de nouvelle guerre froide. Le positionne­ment américain a suscité le soutien inverse de Moscou et de Pékin. La Russie a vendu à Caracas du matériel militaire de qualité supérieure à celui de la Colombie. L’armée est relativeme­nt bien traitée et intégrée dans l’appareil d’Etat. Les défections de soldats et d’officiers ont été assez minoritair­es. Les appels de Juan Guaido à l’armée, seule capable de renverser le régime, ont échoué.

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JEAN-JACQUES KOURLIANDS­KY CHERCHEUR À L’INSTITUT DE RELATIONS INTERNATIO­NALES ET STRATÉGIQU­ES

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