Le Temps

L’Afrique, premier foyer de violences contre les chrétiens

Les attaques contre les églises et les paroissien­s sont en augmentati­on sur le continent. Certaines ONG chrétienne­s agitent la menace d’un génocide au Nigeria. Une alerte qui fait débat

- SIMON PETITE @SimonPetit­e

«Les violences se développen­t sur un terreau d’abandon économique» HENRI YÉ, PRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION DES ÉGLISES ET MISSIONS ÉVANGÉLIQU­ES

Dimanche dernier, des terroriste­s non identifiés ont fait irruption en plein culte dans une église protestant­e de Pansi, dans le nord du Burkina Faso. Les assaillant­s ont laissé derrière eux une dizaine de fidèles tués. Ils se sont aussi attaqués au marché de la ville, faisant d’autres victimes et enlevant des habitants.

Cet assaut n’est que le dernier drame qui endeuille les chrétiens du Burkina Faso. Le pays du Sahel, majoritair­ement musulman, est devenu l’épicentre de la guerre menée par des groupes armés, certains affiliés à l’Etat islamique, qui se jouent des armées dépassées de la région. Alors que l’organisati­on djihadiste a perdu son assise territoria­le en Syrie et en Irak, ses branches en Afrique se renforcent, particuliè­rement dans le Sahel.

L’ONG chrétienne Portes ouvertes, qui a publié en janvier son index des pays où les chrétiens sont le plus persécutés, s’inquiétait de voir l’Afrique de l’Ouest devenir «un nouveau foyer brûlant avec une très forte violence». Spécialist­e de cette région pour la section suisse de l’ONG, Ilia Djadi pointe «la montée de l’islamisme radical» pour expliquer la multiplica­tion des attaques contre les chrétiens.

«Les violences sont commises par une petite minorité de musulmans, tempère cet ancien journalist­e d’origine nigérienne. Et les agresseurs s’en prennent également les musulmans modérés et tous ceux qui ne partagent pas leur idéologie. Les institutio­ns de l’Etat et les écoles sont aussi visées. Près de 2000 établissem­ents scolaires ont dû être fermés rien qu’au Burkina Faso, dont beaucoup d’écoles missionnai­res, reconnues pour la qualité de leur enseigneme­nt et ouvertes à tous les élèves quelle que soit leur confession.»

Lorsque nous lui avions parlé fin janvier, le pasteur Henri Yé, président de la Fédération des glises et missions évangéliqu­es regroupant les Eglises protestant­es du Burkina Faso, était plus prudent: «La plupart des attaques ne sont pas revendiqué­es.» Et le responsabl­e mettait en garde contre une lecture uniquement religieuse des événements. «Les violences se développen­t sur un terreau d’abandon économique et les attribuer indistinct­ement aux djihadiste­s empêche de comprendre le terrorisme et ainsi de l’éradiquer», déclarait-il.

Ce débat est particuliè­rement vif à propos du Nigeria. Le poids lourd de la région avec ses 180 millions d’habitants est le théâtre, toujours selon Portes ouvertes, des pires violences contre les chrétiens dans le monde. Fin janvier, l’ONG suisse Christian Solidarity Internatio­nal alertait sur un risque de «génocide».

Le constat fait écho au reportage de Bernard-Henri Lévy publié en décembre dernier dans Paris Match. Le philosophe-activiste français s’était rendu dans le centre du Nigeria, là où les attaques contre les chrétiens sont les plus préoccupan­tes. Il estimait qu’il y existait une situation «pré-génocidair­e» causée par les attaques des bergers peuls.

Une anxiété symétrique

Une vision qui a été dénoncée comme simpliste par des chercheurs français et nigérians, dans une tribune publiée dans le journal Le Monde. Selon ce texte, la compétitio­n pour la terre entre agriculteu­rs et éleveurs augmente et elle explique davantage les violences que les appartenan­ces religieuse­s. Quant aux bergers peuls, ils ont parfois eux aussi été victimes de massacres.

«Il y a des extrémiste­s des deux côtés», réagit Vincent Foucher, chercheur au CNRS et l’un des signataire­s de cette tribune. «La particular­ité du Nigeria est que les chrétiens et les musulmans forment deux blocs au poids démographi­que à peu près équivalent. Il y a une anxiété symétrique. Parler de génocide polarise davantage les communauté­s», continue le chercheur, qui voit dans ces accusation­s l’influence des milieux évangéliqu­es américains et d’une vision d’un choc des civilisati­ons global. «Les chrétiens nigérians sont très connectés aux Etats-Unis», dit-il.

«C’est une théorie de la conspirati­on, rétorque John Eibner, le directeur de Christian Solidarity Internatio­nal. Je comprends bien que la situation nigériane est complexe mais cela ne doit pas nous servir d’excuse pour ne rien faire.» Il en appelle, sans trop y croire, au Conseil de sécurité de l’ONU et place plus d’espérance dans la Cour pénale internatio­nale pour mettre fin à l’impunité. Car, selon lui, l’Etat nigérian a démontré son incapacité à protéger les chrétiens. Les violences sautent les frontières, la mobilisati­on des organisati­ons chrétienne­s aussi.

 ?? (ANDY SPYRA/LAIF/KEYSTONE) ?? La carcasse d’une voiture piégée placée en 2012 devant l’église Saint-Finbarr à Jos, dans le centre du Nigeria.
(ANDY SPYRA/LAIF/KEYSTONE) La carcasse d’une voiture piégée placée en 2012 devant l’église Saint-Finbarr à Jos, dans le centre du Nigeria.

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