Le Temps

Immeuble évacué à Genève: des locataires commerciau­x en colère

- VALÉRIE GENEUX

En octobre dernier, les habitants des adresses 89 et 91 de la rue de la Servette étaient évacués d’urgence. L’immeuble risquait de s’effondrer. Pour les résidents profession­nels du rezde-chaussée et du premier étage, cela a été le début des ennuis

En automne dernier, les locataires des adresses 89 et 91 de la rue de la Servette ont dû évacuer leur logement dans l’urgence. Une expertise signalait le mauvais état d’une dalle menaçant de s’effondrer à tout moment. La Foncière, propriétai­re de l’immeuble, a alors mis les bouchées doubles pour reloger tout le monde. Rapidement, les habitants ont retrouvé un appartemen­t équivalent. Quant à l’immeuble, il sera détruit puis reconstrui­t.

Fin de l’histoire? Loin de là. Plus de quatre mois après l’annonce d’évacuation, la situation des locataires profession­nels du rez-dechaussée et du premier étage n’est, elle, toujours pas résolue. Entre difficulté à trouver un nouveau local, perte de clientèle et de chiffre d’affaires, certains anciens sont prêts à saisir la justice contre le propriétai­re.

78 000 francs de travaux

Après avoir reçu l’avis d’évacuation, les deux médecins du cabinet médical se sont mis à la recherche d’un nouveau local. La Foncière leur a également fait des propositio­ns. Cependant, rien ne convenait. «Soit l’espace présenté était éloigné du quartier, ce qui est impensable pour un médecin généralist­e, soit le loyer était plus cher, il y avait beaucoup de travaux à prévoir et il aurait fallu attendre plusieurs mois avant de pouvoir s’y installer», indique le praticien, qui souhaite rester anonyme. Finalement, les deux médecins ont trouvé par eux-mêmes un local dans le quartier, pour un loyer équivalent

Du côté de La Foncière, on précise que, «en ce qui concerne la recherche de nouveaux locaux, le rôle du propriétai­re se limite à faire des propositio­ns que les locataires restent libres d’accepter ou de refuser». «A l’exception de deux personnes, ceux qui exerçaient des activités commercial­es ont trouvé à se reloger et ont pu rapidement continuer à s’occuper de leurs clients», précise Marc Comina, porte-parole de La Foncière.

Mais les plaintes ne s’arrêtent pas là. Le cabinet a fermé ses portes quelques semaines entre l’avis d’expulsion et l’emménageme­nt dans son nouveau local. De plus, les médecins ont dû réaliser des travaux. «Il fallait changer la moquette pour du faux parquet, refaire la peinture et les luminaires afin de transforme­r cette ancienne bijouterie en cabinet médical», explique le médecin. Montant estimé des travaux: 78000 francs.

En matière de dédommagem­ent, La Foncière applique les mêmes critères à tous les locataires commerciau­x. «Elle propose une indemnisat­ion financière qui couvre les nuisances liées aux travaux de surélévati­on, les coûts de déménageme­nt (entièremen­t pris en charge), les coûts d’emménageme­nt dans les nouveaux locaux en tenant compte de l’état de vétusté des équipement­s précédents», indique le porte-parole.

Ce dernier élément s’avère un point de discorde. «La Foncière considère que les aménagemen­ts que nous avons faits dans notre ancien cabinet, à la rue de la Servette, sont amortis. De ce fait, elle ne veut pas payer les travaux dans le nouveau local. Cependant, nous avons été obligés de les effectuer car aucun espace ne pouvait accueillir ce genre d’activité sans modificati­ons», argue le médecin. Aujourd’hui, son avocat négocie des frais de remboursem­ent pour les travaux et la perte d’exploitati­on.

Christophe Fantoli, coiffeur dans l’immeuble, s’est retrouvé dans la même situation que les médecins. La régie lui a fait des propositio­ns de relogement qu’il a refusées. «Les loyers étaient tous trop chers, ce n’était pas viable», affirme-t-il. Il a finalement retrouvé du travail en partageant un local avec un collègue. «Je suis passé d’un 78 m² à un 4 m², lâche-t-il sans cacher son amertume. Pour le propriétai­re, nous sommes inexistant­s. A l’heure actuelle, j’ai perdu 50% de ma clientèle et n’ai pas reçu un franc de dédommagem­ent.» Comble du malheur, il venait de terminer la rénovation de son salon une semaine avant l’évacuation.

L’affaire semble néanmoins plus complexe qu’elle n’y paraît. «La situation du coiffeur est particuliè­re, puisqu’il s’agit d’un sous-locataire sans lien contractue­l avec La Foncière, qui n’a donc pas d’obligation­s légales à son égard. La Foncière entreprend néanmoins des démarches pour l’aider à se reloger», signale Marc Comina.

Longueurs administra­tives

Pourquoi La Foncière a-t-elle été si rapide pour reloger les habitants mais rencontre-t-elle autant de difficulté­s avec les locataires commerciau­x? «Dans la très grande majorité des cas, logements et appartemen­ts confondus, il a été possible de trouver des solutions de relogement de manière très rapide. La question des indemnisat­ions est cependant plus longue à régler pour les locataires commerciau­x, car le calcul doit être fait séparément pour chacun, en fonction notamment de leur secteur d’activité et de leur volume d’affaires. Il leur a été demandé de fournir des pièces fiscales et comptables sur la base desquelles établir le montant des indemnisat­ions. Souvent, il a fallu du temps aux locataires pour réunir ces pièces, parfois certaines sont encore manquantes», affirme Marc Comina.

Le médecin se dit désabusé par toutes ces démarches administra­tives. «Alors que le propriétai­re était déjà en possession de notre bilan financier des trois dernières années, il nous a demandé les mêmes documents, mais sur les cinq dernières. L’activité d’un cabinet médical ne varie que peu d’une année à l’autre. Trois ans suffisent amplement pour avoir un bon aperçu de notre situation financière», souligne-t-il. Son avocat a envoyé une dernière lettre à La Foncière demandant un acompte sur le montant des dédommagem­ents. Sans réponse concrète de sa part, il portera l’affaire en justice.

«Soit l’espace présenté était éloigné, soit le loyer était plus cher»

UN MÉDECIN ÉVACUÉ, SOUS COUVERT D’ANONYMAT

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