Les Genevois invités à verdir leur ville
Lancé en 2013, le projet participatif «Nature en ville» a permis la création de potagers, ruches ou encore toits végétalisés au sein de la cité. Un premier pas vers plus de verdure, mais encore insuffisant pour favoriser un urbanisme plus écologique
Une ville aux airs de campagne? En Suisse, le canton de Genève en rêve. Créé en 2013 par le Département de l'environnement, des transports et de l'agriculture, le projet participatif «Nature en ville» vise à encourager les démarches citoyennes pour cultiver la biodiversité sous toutes ses formes. Ruches et potagers urbains, murs végétalisés mais aussi écopâturages ou nichoirs installés sur les toits des immeubles: 72 projets ont été réalisés jusqu'ici, sur une surface de 224537 m2, sans compter les initiatives privées, difficiles à comptabiliser.
Parfois réduite à un simple élément du décor urbain, la nature doit retrouver une place capitale à l'heure où le réchauffement climatique préoccupe toujours davantage. Considérant que cet enjeu est l'affaire de tous, les autorités genevoises ont développé un modèle participatif qui inclut différents acteurs, des associations d'habitants aux communes, en passant par l'Université de Genève ou encore des professionnels de l'urbanisme, du paysage et de l'environnement. Elles s'inspirent ainsi des villes de Neuchâtel et Lausanne, qui ont mis en place des programmes similaires. Chaque année, un concours récompense les propositions d'envergure visant à favoriser la biodiversité et le bien-être des habitants. Soumis à des experts du paysage qui évaluent leur faisabilité, les dossiers passent ensuite devant un jury. Depuis quelques jours, les postulations pour 2020 sont ouvertes.
«Des espaces de respiration et de rencontre»
En sept ans, les projets les plus divers ont vu le jour. Dans le quartier de Meyrin, des troupeaux de chèvres et de moutons ont pris leurs quartiers sur des parcelles de gazon, limitant ainsi l'usage de machines et, par conséquent, la pollution de l'air et l'usage de carburant. Dans le préau de l'école des Champs-Fréchets, un potager urbain permet aux écoliers de s'initier à la permaculture. Sur le toit de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, une prairie fleurie héberge insectes et autres petits animaux à l'arrivée des beaux jours. Non loin de là, des nichoirs installés sur le toit d'un immeuble accueillent une colonie de martinets noirs.
L'esprit «Nature en ville», c'est aussi encourager les efforts individuels. Ainsi, tout un chacun peut se fournir gratuitement à la grainothèque «1203 graines», dans le quartier de Saint-Jean, pour alimenter son propre potager, installé sur un balcon ou dans un coin de jardin.
Héritier du projet lancé par sa prédécesseure Michèle Künzler, Antonio Hodgers, chef du Département du territoire, salue le chemin parcouru. «On le voit à Genève comme ailleurs, l'engouement pour les potagers urbains, les toitures végétalisées et les ruches citadines est marqué», souligne le conseiller d'Etat vert. Ne se contente-t-on pas parfois de changements cosmétiques? «Non, balaie le ministre. Ces projets, même peu visibles, ne sont pas anodins. Mis bout à bout, ils pacifient la ville, en lui offrant des espaces de respiration et de rencontre.»
Alors que Genève connaît en ce moment de vives tensions en matière d'urbanisme, défiance qui a conduit au refus de plusieurs projets d'aménagement, Antonio Hodgers veut réconcilier nature et densification. «La population veut autant de parcs qu'elle attend de logements, estime-t-il. Avec quelque 500000 m2 de parcs dans les nouveaux quartiers, l'Etat de Genève construit un nouveau paysage végétal et urbain. Nous devons garantir à ces espaces verts, ainsi qu'à toutes les nouvelles plantations plus isolées, des conditions d'épanouissement correctes qui impliquent de faire des choix, parfois douloureux, entre arbres et voirie, arbres et sous-sol.»
«Une démarche importante mais insuffisante»
Président de l'association Pic-Vert, qui défend les propriétaires de villas et «l'habitat durable», Christian Gottschall participe au projet «Nature en ville». En coordination avec l'Etat, il encourage les privés à remplacer leurs traditionnelles haies de thuyas ou de laurelles par des espèces locales, moyennant une participation financière étatique. «L'enjeu, c'est de faire revenir la biodiversité, insectes, oiseaux ou hérissons, à l'intérieur de ces cordons de verdure», souligne Christian Gottschall. Pic-Vert favorise aussi l'épanouissement des jardins privés en recommandant par exemple aux propriétaires de conserver les feuilles mortes sur leur pelouse pour favoriser la microfaune.
S'il salue le projet, Christian Gottschall reste néanmoins très critique quant à la politique d'aménagement à Genève. «La démarche est importante, mais demeure largement insuffisante face à l'ampleur des destructions menées dans le cadre du Plan directeur cantonal 2030», déplore-t-il. En matière d'écologie, il accuse l'Etat de tenir un double discours: «Vouloir réintroduire la biodiversité en ville et détruire dans le même temps des poumons de verdure pour construire des logements, c'est le comble de l'incohérence», estime-t-il. Au fond, quels sont les effets concrets d'un projet tel que «Nature en ville»? L'impact biologique à court terme des projets reste «modeste, voire symbolique», réagit le biologiste Martin Schlaepfer, chargé de cours à l'Institut des Sciences de l'Environnement de l'Université de Genève et coordinateur de GE-21. «Il n'empêche, le programme reste un élément crucial de la sensibilisation auprès des habitants des centresvilles, souvent déconnectés des milieux naturels et ruraux», souligne-t-il.
«Ces projets, même peu visibles, ne sont pas anodins. Mis bout à bout, ils pacifient la ville»
ANTONIO HODGERS, CONSEILLER D’ÉTAT GENEVOIS
Le programme reste difficile à évaluer car la sensibilisation résulte d'un grand nombre de facteurs. «Par ailleurs, il n'existe pas de consensus sur les objectifs biologiques visés, juge Martin Schlaepfer. Considère-t-on uniquement les espèces indigènes et menacées, ou également les espèces introduites qui sont nombreuses et parfois utiles en milieu urbain?»
A ses yeux, les gestes concrets tels qu'entretenir un potager ou s'occuper occasionnellement d'un troupeau de moutons en pâture permettent une prise de conscience salutaire et nécessaire. Il est en revanche plus compliqué de se rendre compte de son impact écologique lorsque les répercussions les plus graves ne se trouvent pas en Suisse. «Le pas suivant, c'est parvenir à rendre le citoyen conscient des conséquences indirectes de ses actions, estime Martin Schlaepfer. Investissements financiers, choix alimentaires ou encore vols transatlantiques: ces gestes ont des impacts très importants sur la biodiversité globale.»
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Conférence organisée par «Le Monde», en partenariat avec «Le Temps», le jeudi 20 février, à l’occasion du lancement des Prix de l’innovation urbaine «Le Monde Cities».