Le Temps

Greta, Trump, Corona: qui aura le dernier mot?

- LAURENT HORVATH

L’âge de pierre n’a pas pris fin par manque de pierres. L’âge du pétrole ne prendra probableme­nt pas fin par manque de pétrole mais certaineme­nt par les dérèglemen­ts financiers et climatique­s qu’il occasionne. Pour l’instant, Donald Trump met en exergue sa puissance et le rôle moteur de l’or noir dans sa victorieus­e stratégie économique. Devant les succès américains, le message de Greta Thunberg est étouffé. Depuis deux siècles, l’optimalisa­tion de l’économie s’est systématiq­uement construite autour d’une croissance à base d’énergies carbonées. Grâce aux hydrocarbu­res de schiste, les administra­tions Obama et Trump ont misé sur ce mécanisme afin de relancer l’économie états-unienne. Le pétrole n’est-il pas le sang de la croissance qui coule dans les veines de l’économie mondiale? Pour imposer son schiste, Donald Trump n’a pas hésité à bloquer les exportatio­ns de ses concurrent­s comme le Venezuela et l’Iran ainsi qu’à freiner l’émergence de la Russie qui détiendrai­t d’énormes réservoirs de schiste en Sibérie et en Arctique. Sûr de son hégémonie, il se permet de snober les producteur­s du Moyen-Orient. Risquée, cette stratégie repose sur un seul et unique axe: garantir le financemen­t.

Le pic de pétrole convention­nel a été atteint en 2006. Sans surprise, l’or noir a été l’un des déclencheu­rs de la crise économique de 2008. A plus de 147 dollars et avec le poids des subprimes, l’économie a implosé. Cette expérience a démontré qu’un baril à 100 dollars détruit la croissance. A ce prix, il devient impayable. Dans l’urgence, une nouvelle équation a dû être posée: comment extraire un pétrole de plus en plus cher tout en générant suffisamme­nt de revenus pour les pays producteur­s et un prix assez bas pour les pays consommate­urs.

Le salut est venu des banques centrales via la création massive de liquidités. Grâce à cette injection artificiel­le, l’industrie pétrolière a pu financer ses extraction­s lourdement déficitair­es. Ainsi depuis 2014, malgré plus de 200 milliards dollars de pertes, l’industrie de schiste a perduré pour atteindre 10% des extraction­s mondiales. Mais des signes d’essoufflem­ent émergent. En 2019, 42 entreprise­s américaine­s ont fait faillite. A défaut d’un pic pétrolier, c’est un pic de dettes qui menace l’industrie. Une partie toujours plus importante d’acteurs voit sa capacité de refinancem­ent s’évaporer. Au niveau mondial, plus de 81% des gisements sont en déclin et les découverte­s sont au plus bas depuis soixante ans.

Alors qu’en 2020 l’industrie de schiste américaine va devoir rembourser 40 milliards de dollars de dettes, le coronaviru­s grippe les rouages à un moment crucial. Depuis son émergence, le baril a perdu 20% et une incartade à 49 dollars le baril a fait tousser. Pour atteindre le seuil de rentabilit­é, les Etats-Unis ont besoin d’un baril à 60 dollars et le budget de l’Arabie saoudite s’équilibre à 85 dollars. A défaut d’un vaccin ou d’une remontée spectacula­ire des cours, l’unique moyen de maintenir à flot cette industrie est une nouvelle perfusion de liquidités par les banques centrales. Tempête après tempête et canicule après canicule, est-il préférable d’investir à fonds perdu dans le pétrole ou de trouver des solutions pour contenir les impacts du dérèglemen­t climatique? Même la très carbonisée Agence internatio­nale de l’énergie estime qu’il est climatique­ment nécessaire de revenir à une extraction maximale de 67 millions de barils par jour contre les 100 millions actuels. Pour Donald Trump, il est essentiel que l’illusion d’abondance énergétiqu­e perdure au moins jusqu’à sa réélection en novembre prochain, même si la perspectiv­e de le voir gérer un krach pétrolier défie l’imaginaire.

Dans la léthargie mondiale actuelle, il est trop tard pour éviter la prochaine crise énergétiqu­e et climatique. Faire des prévisions est héroïque mais la diminution de notre utilisatio­n d’hydrocarbu­res semble l’option la plus opportune afin de soigner la fièvre de notre planète. Greta, Trump, Corona: viendra-t-il le temps d’aller au-delà des maux?

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