Erling Braut Håland, clauses combat
FOOTBALL Au jeu des clauses libératoires, le Borussia Dortmund a pu attirer l’attaquant norvégien qui a fait le malheur du PSG pour seulement 20 millions d’euros. Mais le système, qui profite au cercle très restreint des plus riches, finira par se retourner contre lui
Le Paris Saint-Germain a déboursé près d’un demi-milliard d’euros pour composer le trio d’attaquants aligné mardi soir contre le Borussia Dortmund en huitièmes de finale de la Ligue des champions (222 millions pour Neymar, 180 pour Kylian Mbappé, 63 pour Angel Di Maria). Mais sur la pelouse du Signal Iduna Park, il n’y eut d’yeux que pour Erling Braut Håland, un Norvégien de 19 ans auteur d’un doublé synonyme de victoire (2-1), que le club allemand a arraché cet hiver au RB Salzbourg pour 20 millions d’euros seulement.
Cela reste une somme. Mais au vu de celles qui s’échangent lors de chaque mercato ainsi que du talent du bonhomme, qui affole la planète football de longue date, elle semble dérisoire.
Le gros lot
25 millions d’euros, c’est par exemple ce qu’a payé l’AS Monaco à l’Olympique Lyonnais en juillet 2018 pour débaucher l’espoir Willem Geubbels, qui n’a depuis joué que 38 minutes en Ligue 1 française. C’est moins que ce que Schalke 04 a offert au FC Bâle en échange de Breel Embolo en 2016 (26,5 millions). Et ce n’est même pas la moitié de la valeur marchande théorique d’Erling Braut Håland il y a encore deux mois à Salzbourg, au moment de son transfert (entre 40 et 50 millions d’euros). Mais c’était celui de sa clause libératoire.
Interdites en France, peu répandues en Suisse mais généralisées dans d’autres championnats, les clauses libératoires jouent un rôle fondamental à l’heure actuelle dans les transferts de footballeurs. Elles représentent le montant en échange duquel un club est contraint de laisser un de ses joueurs s’en aller.
Si elle est élevée voire rédhibitoire (1 milliard d’euros pour détourner Karim Benzema du Real Madrid), elle prémunit le club propriétaire d’un départ précipité. Mais si elle reste abordable, elle peut au contraire apparaître comme un moyen pour le footballeur de changer d’employeur avant la fin de son contrat. Le Barça n’avait pas prévu de laisser partir Neymar en 2017 mais il n’a pas eu le choix lorsque le PSG s’est engagé à payer les 222 millions d’euros nécessaires. Les clauses libératoires font donc l’objet d’âpres négociations au moment des signatures de contrat.
«Maintenant qu’Erling Braut Håland cartonne à Dortmund, on peut se dire que 20 millions d’euros, ce n’était pas énorme. Mais il faut replacer ce montant dans le contexte de sa signature à Salzbourg: il arrive de Norvège, il n’a que 18 ans. Beaucoup pensaient qu’il allait exploser, mais ce n’était pas garanti», analyse l’agent genevois Lorenzo Falbo.
Il n’empêche: le Borussia Dortmund semble avoir touché le gros lot avec un avant-centre aussi bon marché qui, avant même son doublé en Ligue des champions, avait claqué huit buts en cinq matchs de Bundesliga. Mais le mécanisme des clauses libératoires promet de se retourner contre le club allemand. Car pour attirer Erling Braut Håland, il a dû accepter d’en introduire une, de 75 millions d’euros, à compter de l’été 2021.
Plus cher qu’il n’y paraît
«Le club se refusait farouchement à fixer des clauses libératoires depuis que Mario Götze avait pu en profiter pour signer au Bayern en 2013 contre 37 millions d’euros, rappelle Raffaele Poli, de l’Observatoire du football CIES à Neuchâtel. Mais il n’a pas le choix s’il veut avoir accès à des joueurs comme Håland. Au final, les bénéficiaires du système sont toujours les mêmes. Ce sont les plus grands clubs de la planète, et ils ne sont vraiment pas nombreux.»
75 millions d’euros, ce n’est pas rien. Mais selon les calculs de l’Observatoire du football CIES, la valeur marchande de l’attaquant norvégien était déjà montée à quelque 80 millions d’euros avant son doublé contre le PSG et avoisine aujourd’hui les 100 millions. Si le jeune homme continue sur sa lancée, elle peut encore doubler d’ici à la fin de la saison. Lorsque sa clause libératoire sera activée, n’importe quel club sera susceptible de chiper Erling Braut Håland au Borussia Dortmund pour ce qui ne sera peut-être que le tiers de sa valeur théorique sur le marché.
Et alors? Revendre 75 millions d’euros un joueur acheté 20 millions d’euros une année et demie plus tôt représente néanmoins une jolie plus-value. Sauf qu’en réalité le transfert initial a coûté plus cher que cela. Le prodige norvégien étant courtisé de toutes parts, il fallait encore convaincre les intermédiaires, l’entourage et bien sûr le joueur de venir ici plutôt qu’ailleurs.
Selon La Gazzetta dello Sport, l’agent Mino Raiola aurait empoché une prime de 15 millions d’euros et Alf-Inge Håland, le père, un montant de 10 millions d’euros. Soit une enveloppe totale de 45 millions d’euros correspondant à peu près à la valeur marchande du joueur, à laquelle il convient encore d’ajouter le salaire élevé qui lui a été promis (environ 8 millions d’euros par saison, le quatrième de l’équipe).
Pour réaliser une belle opération financière, le Borussia Dortmund devrait envisager de vendre sa pépite dès le prochain mercato, avant que la clause libératoire n’entre en vigueur. Mais il n’aura alors profité de ses services que six mois, et se priverait d’un atout offensif difficile à compenser. Dans tous les cas, il semble déjà hautement improbable qu’Erling Braut Håland aille au bout de son contrat dans la Ruhr, qui court pourtant jusqu’en 2024.
Le fossé se creuse
Il n’est pourtant pas ici question d’un club composant avec des bouts de ficelle. En termes de revenus, le Borussia Dortmund pointe au douzième rang du classement mondial établi par le cabinet Deloitte dans son étude annuelle Football Money League. L’équipe entraînée par le Vaudois Lucien Favre postule à une place en quarts de finale de la Ligue des champions, joue le titre en Bundesliga et évolue devant la plus grande moyenne de spectateurs d’Europe. Et pourtant, dans le plan de carrière d’Erling Braut Håland, Dortmund n’est envisagé que comme une étape. «La financiarisation du football a créé un fossé entre le cercle très restreint des clubs les plus puissants et les autres», résume Raffaele Poli.
Les clauses libératoires contribuent à le creuser, et pas seulement dans des cas exceptionnels comme celui du prodige norvégien. Au bout du fil, l’agent de joueurs Lorenzo Falbo explique: «Je représente en Espagne des joueurs dont les contrats sont assortis de clauses à 25 ou 30 millions d’euros, largement supérieures à leur valeur marchande. Cela peut paraître dissuasif. Mais à ce prix-là, les grands clubs peuvent se servir. Le FC Barcelone vient par exemple de payer la clause de l’attaquant de Leganés Martin Braithwaite, fixée à 18 millions d’euros alors que la valeur du joueur n’est estimée qu’à 10 millions. Ce n’est pas un souci pour le Barça, qui a besoin d’un renfort d’urgence. Mais pour Leganés, ce sera difficile de se retourner…»
Mardi, Erling Braut Håland a fait gagner le Borussia Dortmund. Mais au jeu des clauses libératoires, ce seront toujours les clubs de l’envergure financière du PSG qui l’emporteront.
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Pour Erling Braut Håland, la clause libératoire est fixée à 75 millions d’euros. Celle de Karim Benzema au Real Madrid? 1 milliard d’euros