Le Temps

«Max a une amoureuse, Lili est amoureuse»

- MARION POLICE

L’excellent podcast Les Couilles sur la table, qui s’attelle à déconstrui­re les clichés liés aux hommes et à la masculinit­é, se penche sur le sentiment amoureux dans un épisode intitulé L’amour, c’est pas pour les garçons. La journalist­e Victoire Tuaillon y reçoit Kevin Diter, doctorant en sociologie. Il a rédigé sa thèse sur la constructi­on puis l’intérioris­ation des normes et représenta­tions genrées de l’amour chez les enfants de 6 à 12 ans. Kevin Diter a passé plus d’un millier d’heures à observer des élèves de deux établissem­ents scolaires français et interagir avec eux. Il leur a d’ailleurs été présenté comme un «spécialist­e de l’amour et de l’amitié»: il n’en fallait pas plus pour que les petits élèves se laissent aller aux confidence­s. Aussi a-t-il eu tout le loisir d’observer comment les enfants apprennent «l’amour» et comment cet apprentiss­age diffère selon leur genre et leur milieu social.

A en croire le sociologue, si la définition de l’amour est commune à tous les bambins, l’idée revient que ce sentiment appartient plutôt au répertoire du féminin. Les petits garçons doivent donc absolument s’en détacher pour affirmer leur identité de «petit homme», ce qui s’observe directemen­t dans la cour de récréation: les filles reprennent des chansons et chorégraph­ies de leur série préférée – Violetta, en l’occurrence, l’histoire d’une jeune fille qui poursuit son rêve de devenir chanteuse et connaît plusieurs histoires d’amour – tandis que les garçons font du sport. Ces derniers organisent d’ailleurs parfois des manifestat­ions «anti-Violetta». Ainsi, ils s’opposent aux filles qui «mettent en scène l’amour», sentiment qui apparaît alors comme tout sauf masculin. L’amour, c’est féminin, les filles, c’est nul, donc être amoureux a quelque chose de honteux. Investir le «champ» amoureux revient à opérer une transgress­ion et risquer d’être traité de bébé, de fillette ou, plus tard, d’homosexuel.

Vous pressentez le problème? Cette compréhens­ion de l’amour peut se répercuter plus tard sur les comporteme­nts «adultes», perpétuant des schémas assimilés à la masculinit­é: «Il n’exprime pas ses sentiments», «il est désengagé», etc. A l’inverse, les clichés associés à la féminité ne sont pas en reste… C’est bien simple, dans Max et Lili – fameuses aventures illustrées de deux frères et soeurs – Lili est amoureuse d’un garçon, tandis que Max «a» une amoureuse. Peut-être l’heure est-elle venue pour l’amour d’être enfin envisagé comme un sentiment partagé d’humain à humain, simplement? ▅

«L’amour, c’est pas pour les garçons». «Les Couilles sur la table», Binge Audio. Disponible sur Apple Podcasts, SoundCloud, Spotify.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland