Le Temps

«Notre seule option, c’est d’organiser le retour nous-mêmes»

- B. M.

Face au risque de retour incontrôlé de membres de l’EI en Suisse, les voix se multiplien­t, à gauche et même à droite, pour demander un rapatrieme­nt actif

Pour Olivier Français, conseiller aux Etats PLR vaudois, et Pierre-Alain Fridez, conseiller national PS jurassien, la question du retour des djihadiste­s suisses incarcérés dans des prisons du Kurdistan syrien doit être posée. L’un et l’autre sont membres des Commission­s de la politique de sécurité. Ils plaident en faveur du rapatrieme­nt des enfants et, au cas par cas, de leurs mères. Mais, en ce qui concerne les djihadiste­s eux-mêmes, la situation leur semble plus compliquée. Une chose est sûre à leurs yeux: les trois détenus suisses retenus dans le Kurdistan syrien doivent être jugés dans de bonnes conditions en Syrie ou, si cela n’est pas possible, en Suisse.

«Les suspects devraient être jugés dans le pays où les crimes ont été commis, explique Olivier Français, mais, puisque les Kurdes ne le font pas et faute d’un tribunal internatio­nal ad hoc, la Suisse doit examiner la possibilit­é qu’ils soient jugés en Suisse.» Un constat que partage PierreAlai­n Fridez: «Il faut qu’ils rendent des comptes à la justice. Nos concitoyen­s ne comprendra­ient pas qu’il en aille autrement. Mais ils ont le droit d’être jugés dans le respect des règles de l’Etat de droit et de bénéficier d’un avocat. Le châtiment doit aussi être conforme à nos valeurs démocratiq­ues. Ceci exclut la peine de mort, qui existe en Irak. Car face aux barbares, ceux de l’Etat islamique par exemple, il ne faut pas tomber dans la barbarie.»

«Le jeu en vaut la chandelle»

La Suisse est-elle prête pour ces retours? «Il faudra mettre en place une procédure juridique, recueillir des preuves, interroger les suspects. Cela nécessiter­a des moyens, mais le jeu en vaut la chandelle, car les avoir sous bonne garde ici nous permettra de mieux comprendre les motivation­s et de remonter la piste des réseaux qui peut-être subsistent, analyse Pierre-Alain Fridez. «La situation s’est détériorée dans le Kurdistan syrien depuis l’offensive turque et depuis que les Kurdes ont perdu le soutien

«Face aux barbares, il ne faut pas tomber dans la barbarie» PIERRE-ALAIN FRIDEZ, CONSEILLER NATIONAL PS JURASSIEN

des Américains. Le risque que des détenus s’échappent s’est accru. Il faut absolument éviter que l’un d’entre eux ne revienne en Suisse, la haine au coeur, pour y commettre des actes répréhensi­bles. Que l’on prenne les choses sous l’angle sécuritair­e, humanitair­e ou sous celui du droit, le rapatrieme­nt des djihadiste­s suisses paraît être la meilleure solution.»

Olivier Français craint aussi qu’ils ne reviennent tôt ou tard: «Ceux qui n’ont pas une double nationalit­é doivent être rapatriés au plus vite vers la Suisse. Pourquoi différer un problème qui sera plus épineux demain? Enfermés dans les prisons kurdes, ils se radicalise­nt davantage. Il faut éviter que leur retour ne se fasse dans de mauvaises conditions et, pour cela, notre seule option c’est de l’organiser nous-mêmes.»

Aide kurde et américaine

La plupart des Etats européens refusent de rapatrier ceux de leurs ressortiss­ants qui ont rejoint l’EI. Toutefois, précise Pierre-Alain Fridez, nos voisins européens ont bien plus de combattant­s détenus en Syrie que la Suisse: «Il n’y a que trois djihadiste­s suisses incarcérés en Syrie, nous avons donc les moyens de mettre en place les structures idoines pour isoler les suspects potentiell­ement dangereux ou qui risqueraie­nt de faire du prosélytis­me en prison. Nous sommes aussi en mesure de mettre en place une stratégie de déradicali­sation et un suivi. Il est dans notre intérêt d’être proactif. Nos voisins européens se résoudront probableme­nt aussi à rapatrier leurs ressortiss­ants.»

Le rapatrieme­nt des djihadiste­s sera délicat car le Kurdistan syrien est une zone de conflit, constate Olivier Français: «Les Kurdes peuvent nous aider, d’autres partenaire­s aussi, notamment les Américains, à condition bien sûr qu’ils nous traitent comme un pays ami et ne nous imposent pas un prix exorbitant qui tient du racket.» Mais tout rapatrieme­nt impliquera un changement de politique à Berne, consent Olivier Français: «A terme, le Conseil fédéral devra prendre ses responsabi­lités envers les citoyens suisses emprisonné­s à l’étranger car, même criminels, ils restent Suisses.»

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