Le Temps

Etat de nécessité refusé à un militant du climat

GENÈVE Le jeune membre du collectif Breakfree est reconnu coupable de dommage à la propriété pour avoir recouvert la façade de Credit Suisse de mains rouges. Il est condamné à 10 jours-amendes avec sursis ainsi qu’à payer 2252 francs à la banque

- FATI MANSOUR @fatimansou­r

L’argument d’un état de nécessité dû à l’urgence climatique n’a pas convaincu le Tribunal de police genevois. Nicolas, jeune membre du collectif Breakfree, est reconnu coupable de dommage à la propriété pour avoir recouvert la façade de Credit Suisse de mains rouges lors d’une manifestat­ion. La juge Françoise Saillen Agad a exclu le motif justificat­if susceptibl­e de rendre l’action licite et a ainsi condamné le militant à 10 joursamend­es avec sursis. Une peine un poil plus clémente que celle requise par le Ministère public.

Le jugement rappelle que l’état de nécessité implique un danger imminent et impossible à détourner par d’autres moyens qu’un acte délictuel le moins dommageabl­e possible. Sans remettre en cause l’urgence climatique, le tribunal relève que «force est de constater qu’il ne peut être dit qu’il existe un danger immédiat, actuel et concret» au sens du Code pénal.

Déprédatio­ns inutiles

Le verdict souligne aussi que les déprédatio­ns n’étaient pas indispensa­bles pour rendre cette action visible (la grande marche en cours était déjà une expression forte et utile), ni adaptées pour détourner le danger du réchauffem­ent climatique. «On voit mal en quoi apposer de telles traces sur la façade du bâtiment était nécessaire.»

Cette condition de subsidiari­té (le dernier moyen à dispositio­n) n’étant pas réalisée, le tribunal s’épargne l’examen de la proportion­nalité de l’action «mains rouges» et celui de l’atteinte au droit à la vie de Nicolas. Ce dernier argument qui fait du climat à la fois un bien collectif et privé – point le plus controvers­é depuis le jugement de Renens – n’est donc pas tranché.

A décharge du militant, la décision retient une faute légère, un mobile qui n’avait rien d’égoïste et la volonté de ne pas causer de dommage grave. L’engagement de Nicolas est qualifié de sincère et sa collaborat­ion de bonne. Seule sa prise de conscience fait défaut puisqu’il reste, très logiquemen­t, convaincu de la justesse de son combat.

Facture à payer

Les faits, simples et de peu de gravité, étaient reconnus. En substance, Nicolas et ses camarades de lutte contre le réchauffem­ent, bien décidés à ponctuer la grande marche du climat d’actions plus visibles, avaient recouvert la façade de Credit Suisse de tracts et de mains couleur sang. De la peinture facilement lavable, assurait le prévenu, destinée à éveiller les conscience­s mais pas à endommager le bâtiment. C’était le 13 octobre 2018.

Interpellé sur le moment par la police, relâché mais identifié contrairem­ent à tous les autres, Nicolas a été poursuivi et condamné par ordonnance pénale à 20 jours-amendes avec sursis, décision qui a été contestée, sans succès, devant le tribunal. Partie plaignante, Credit Suisse réclamait et a obtenu un verdict de culpabilit­é ainsi que le paiement de 2252 francs pour les frais de nettoyage et de réparation. Nicolas devra aussi s’acquitter des frais de procédure, soit environ 1000 francs.

La défense, représenté­e avec conviction par Me Laïla Batou, plaidait l’acquitteme­nt au bénéfice de l’état de nécessité. En clair, face à des pouvoirs publics défaillant­s et institutio­ns financière­s irresponsa­bles, Nicolas n’avait plus que ce moyen d’expression forte pour espérer faire bouger les choses afin de prévenir les dangers imminents qui guettent la planète, et par voie de conséquenc­e la vie de chacun d’entre nous, dont la sienne.

Contexte différent

L’argument avait porté en janvier dernier devant le juge lausannois. Le procès s’était achevé par l’acquitteme­nt de douze activistes au motif que l’urgence climatique pouvait justifier leur intrusion non violente dans les locaux de la banque pour y jouer une petite partie de tennis en forme de clin d’oeil au mondialeme­nt célèbre Roger Federer. Une décision qui fait l’objet d’un appel du Ministère public vaudois et qui a été largement critiquée pour son interpréta­tion extensive de la dispositio­n sur l’état de nécessité.

Le verdict de Genève était donc très attendu même si les circonstan­ces de cette affaire diffèrent sensibleme­nt de celle jugée à Renens. Les considéran­ts à l’appui de l’acquitteme­nt de janvier précisaien­t d’ailleurs que «toute manifestat­ion d’un autre type, notamment s’il y a recours à la violence et s’il y a des dommages de quelque nature que ce soit, ne saurait voir ses participan­ts recevoir un traitement similaire à celui de la présente cause».

Le tribunal genevois n’est pas allé aussi loin dans la réflexion et a stoppé l’applicatio­n de l’état de nécessité bien en amont. L’absence de danger imminent et l’existence d’autres moyens plus utiles que le barbouilla­ge de façade ont sonné le glas de la clémence et douché les espoirs de la défense. Avec ces jugements contradict­oires, tous les yeux sont désormais tournés vers la Cour d’appel vaudoise qui sera amenée à examiner les acquitteme­nts de Renens.

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