Le Temps

L’ Europe de la recherche referme ses portes

- SOLENN PAULIC, BRUXELLES

DIPLOMATIE Les 27 se disputent sur le montant du budget de l’UE pour les sept prochaines années mais ils sont au moins unis sur un point: les conditions d’accès des pays tiers aux programmes de recherche seront plus strictes. Le Royaume-Uni et la Suisse sont directemen­t visés

Réunis hier à Bruxelles, les 27 ont entamé une discussion complexe sur leur premier budget pluriannue­l sans les Britanniqu­es. Mais un point au moins les met d’accord: leur nouveau programme de recherche doté d’environ 100 milliards d’euros sur sept ans (80 milliards d’euros pour Horizon Europe) sera ouvert à davantage de pays tiers mais dans des conditions plus strictes et la Suisse ne sera a priori pas traitée différemme­nt.

Comme le Canada, la Chine et donc le Royaume-Uni, la Suisse serait donc, si rien ne change dans les prochains mois, contrainte de négocier un accord avec l’UE, qui fixera les conditions de la participat­ion à chaque programme (InvestEU, les programmes liés à Euratom…) avec des restrictio­ns au cas par cas. Israël et la Turquie garderaien­t, eux, des conditions plus favorables.

C’est la Commission européenne qui avait dégainé la première en juin 2018 en proposant que la Suisse quitte la catégorie des pays de l’AELE où elle se trouve actuelleme­nt et soit rétrogradé­e dans celle des pays tiers, perdant ainsi une accession automatiqu­e à tous les programmes.

Une façon, à l’époque, de signaler aux Britanniqu­es quels genres de relations ils entretiend­raient à l’avenir avec l’UE en étant «hors du bloc», et de «punir» en quelque sorte les Suisses pour leurs difficulté­s à ratifier l’accord-cadre.

«Pay as you go»

Le président du Conseil européen, Charles Michel, a repris cette idée à son compte et il y a confirmé un autre principe: tout accord avec les pays tiers devra reposer sur le principe du «pay as you go». En clair, pas question d’autoriser les pays tiers à recevoir plus d’argent qu’ils n’en donnent. Le temps où la Suisse, avec l’excellence de ses centres de recherche, gagnait un peu plus que ce qu’elle donnait est donc révolu.

Dans les faits, ce principe du «pay as you go» est «accepté», dit-on du côté suisse, où l’on rappelle que le bilan du programme Horizon 2020 devrait être quasi nul, peutêtre d’ailleurs en raison de la suspension de sa participat­ion après l’initiative de 2014. Sur 2007-2014, elle avait en revanche reçu un léger bénéfice, d’environ 232 millions de francs de plus que sa contributi­on de 2,3 milliards. Sur 2014-2020, la Suisse a contribué à hauteur de 4,4 milliards de francs environ.

Ce nouveau principe du «pay as you go» n’est donc pas le plus dérangeant et pourrait même avoir un effet positif en «nous enlevant l’image d’un pays qui ne fait que profiter», souligne une source familière du dossier.

Lobbying pour changer de catégorie

Mais la rétrograda­tion de catégorie reste un «vrai casse-tête», reconnaît-on d’un autre côté et l’on redoute qu’avec un accord chapeau trop flou «des liens soient faits entre programmes de recherche et situation politique». A Bruxelles, on s’emploie donc à expliquer que la Suisse n’a pas grand-chose en commun avec le Royaume-Uni: Londres entame les négociatio­ns sur sa future relation sur une ligne dure. Berne a donc tout intérêt à rappeler aux Européens qu’elle souhaite rester très proche d’eux.

Pas question d’autoriser les pays tiers à recevoir plus d’argent qu’ils n’en donnent

Un petit-déjeuner fin janvier avec les experts Recherche des Etats membres a été l’occasion de leur rappeler «les spécificit­és de la Suisse», de revenir sur les complexité­s du dossier de l’accord-cadre et de tenter de convaincre les 27 de faire revenir la Suisse dans une catégorie avec «accession pleine et entière» aux programmes de recherche, poursuit une source. C’est ce 28 février que les ministres Recherche et Compétitiv­ité commencero­nt à se pencher concrèteme­nt sur la collaborat­ion internatio­nale souhaitée pour Horizon Europe. Tout le travail de Berne consiste donc actuelleme­nt à expliquer à Bruxelles «que la situation institutio­nnelle de la Suisse n’est pas moins avancée qu’elle ne l’était en 2014; elle est même meilleure». Il n’y a alors «aucune raison» de la placer dans le même camp que le Royaume-Uni, la Chine ou le Yémen.

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