Les promesses tenues de Corinne Suter
La Schwytzoise sera l’attraction des épreuves de Crans-Montana, ce week-end. A 25 ans, elle confirme les espoirs nés de ses résultats chez les jeunes, après avoir surmonté des ennuis de santé et appris à canaliser son ambition
Un soleil magnifique irradie la neige de la piste du Mont-Lachaux et, à la veille de la première des deux descentes de Coupe du monde féminine qui se disputeront à Crans-Montana ce week-end, Corinne Suter vient de réussir une bonne manche d’entraînement. Elle tient le cinquième temps des 49 concurrentes, «alors qu’elle est restée sur la réserve», souligne l’entraîneur Roland Platzer, dans la zone d’arrivée.
Mais la skieuse de 25 ans n’a pourtant pas l’air ravie quand les micros se tendent pour qu’elle commente. N’est-elle pas satisfaite, elle qui serait cruelle d’exigence envers elle-même? Ou alors juste lasse des corvées médiatiques, qui dit-on «lui coûteraient en énergie»? Il faut se rappeler qu’il n’y a pas si longtemps, la Schwytzoise comptait parmi les athlètes souvent placées mais jamais tout devant, celles que l’on ne harcèle pas de sollicitations, de questions, de commentaires. Et aussi qu’elle peut parfois se laisser impressionner: il y a quelques années, elle ne savait plus où se mettre lorsqu’elle a rencontré pour la première fois son idole de toujours, l’Américaine Lindsey Vonn.
«Mais il ne faut pas surinterpréter ses expressions, nous prévient-on. Corinne, c’est surtout la gentillesse incarnée.» La voilà d’ailleurs qui se met à sourire large en racontant la minute et demie qu’elle vient de passer sur ses lattes.
Et soudain, pschitt
Corinne Suter ne manque pas de raisons d’être heureuse. Il y a un peu plus d’une année, elle n’était jamais montée sur un podium de Coupe du monde. La double championne du monde junior de 2014 portait une vieille promesse magnifique, mais peinait à l’honorer au plus haut niveau. Et voilà qu’aujourd’hui, elle pointe en tête des classements de la descente et du super-G, avec une victoire dans chacune des deux disciplines et une régularité métronomique.
«C’est tellement cool de la voir à ce niveau, lance la championne olympique du combiné Michelle Gisin.
On savait depuis longtemps qu’elle pouvait skier très vite, mais maintenant elle le prouve. Sa progression s’est étalée sur des années, mais c’est comme s’il y avait eu un déclic…»
Il est survenu à la surprise générale et au meilleur moment: lors du super-G des Championnats du monde d’Are, en février dernier. Médaille d’argent. Et soudain, pschitt: toute la pression qu’elle pouvait se mettre s’est envolée d’un coup. Toujours en Suède, elle se pare trois jours plus tard du bronze en descente, puis enchaîne avec son premier podium en Coupe du monde à Crans-Montana. A ce jour, ses bonnes sensations ne l’ont plus quittée.
La revoilà, jeudi en fin d’aprèsmidi, dans le restaurant de l’hôtel où logent les Suissesses à CransMontana. Calme, détendue, l’oeil pétillant. Elle décrit son nouveau statut par petites phrases. «Ce qui a changé, c’est surtout que j’ai moins de pression qu’avant. Je parle de la mienne. Je m’en mets tellement toute seule que je ne suis pas trop sensible à celle qui provient de l’extérieur. Depuis ma première médaille à Are, je me suis laissée porter par le flow positif, tout simplement.»
Mais en ski alpin, et même si Corinne Suter confie qu’elle prie tous les soirs, les résultats ne tombent pas du ciel mais récompensent les réglages minutieux d’une mécanique de précision. «Ces deux derniers étés, nous avons fait beaucoup d’exercices pour optimiser sa position sur les skis. Il fallait qu’elle parvienne à être plus centrée», détaille un des entraîneurs des spécialistes de vitesse, Dominique Pittet.
«Très dure avec elle-même»
Les derniers dixièmes de seconde se gagnent parfois au gré d’un travail qui va de soi pour les principaux intéressés mais qui peut paraître un rien alchimique aux yeux du profane. C’est ainsi que pour franchir un palier en descente et en super-G, Corinne Suter s’est beaucoup entraînée en… slalom géant. «Il a fallu faire ce détour pour lui permettre de progresser sur le plan technique, justifie l’Italien Roland Platzer. Grâce à cela, elle skie désormais beaucoup mieux, cela lui confère plus de confiance, et elle est donc davantage en mesure de laisser aller lors des épreuves de vitesse.»
C’est peut-être ce soupçon de relâchement qui manquait jusqu’ici à une skieuse qui peut être «dure, très dure avec elle-même et ne rien se pardonner», dixit Dominique Pittet. Après une performance pas à la hauteur de ses attentes, elle pouvait plus jeune disparaître pendant des heures, boudant dans son coin à soigner les plaies laissées par l’échec sur son ambition. «J’ai appris à être moins extrême dans ma déception, et à davantage valoriser ce qui fonctionnait», souffle-t-elle, emmitouflée dans son bonnet à sponsors.
«Devenir égoïste»
Une Corinne Suter en chasse l’autre: d’un côté la petite fille réticente à se lancer en compétition, car elle aimait surtout dévaler les pentes d’Ibergeregg avec ses parents et ses trois frères pour le plaisir; de l’autre l’athlète acharnée qui ne tolère pas la demi-mesure. La première a dû «apprendre à devenir un peu égoïste», comme elle le disait en 2019 à L’illustré, pour faire métier de son sport-passion; la seconde a été contrainte à la patience avant de se hisser au niveau escompté.
Car la jeune femme n’a pas échappé à son lot de problèmes physiques, presque inhérents à la vie d’une skieuse professionnelle. Blessure au tibia en 2015. Commotion cérébrale et contusion à une cuisse en 2016. Fracture d’un pouce en 2017. Et c’est finalement une septicémie qui a failli lui coûter sa carrière. A l’été 2018, elle passe quatre jours à l’hôpital et frôle l’amputation d’un pied. Mais elle sort de l’épisode indemne, à quelques mois des Mondiaux d’Are…
«Mine de rien, avec tous ces petits soucis, elle a perdu de nombreuses semaines d’entraînement ces dernières années, relève l’entraîneur Dominique Pittet. C’est aussi ce qui explique qu’elle ait mis un peu de temps à exploser.»
Aujourd’hui, avec la confiance engrangée et les progrès réalisés, Roland Platzer estime qu’elle «est en mesure d’être très rapide sur absolument toutes les pistes». Le public de Crans-Montana peut se réjouir de voir ça.
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