Palézieux, ce minuscule monumental
Après la Fondation Custodia à Paris, le Musée Jenisch expose l’oeuvre sur papier du Veveysan, décédé en 2012, à travers un ensemble de plus de 200 pièces. Le pari: changer le regard sur le travail de cet artiste d’abord connu des régions vaudoise et valai
Donner, enfin, à Palézieux une stature d’«artiste international». Tel est, pour son commissaire Florian Rodari, l’enjeu majeur de cette exposition. Il faut dire que l’oeuvre du Suisse est, encore aujourd’hui, confidentielle. La diffusion de son travail s’est faite lentement, et elle s’est inscrite, comme son oeuvre elle-même du reste, dans la durée. La publication d’une monographie chez Skira en 1994 (publiée par Florian Rodari, déjà) permet alors de le faire connaître à un public plus large que le groupe restreint de ses admirateurs régionaux.
Avec sa défense de la lenteur, de l’ascèse, et du retrait, il ne saurait être plus à l’opposé de notre époque
Une exposition importante au Musée de la maison Rembrandt d’Amsterdam en 2000 poursuit ce travail. Et il y a quelques mois, c’est le public parisien qui le découvre grâce à une exposition à la Fondation Custodia – un lieu d’exposition qui s’est spécialisé dans les esthétiques nordiques. Mais c’est à peu près tout. La carrière de l’artiste fut plutôt silencieuse, à l’image de son travail, mais aussi de sa vie.
Gérard de Palézieux naît à Vevey en 1919. Après des études – qui le laissent insatisfait – à l’Ecole des beaux-arts de Lausanne, il séjourne pendant quelques années à Florence, où il fréquente l’Académie, enrichit sa connaissance de l’histoire de la peinture renaissante, et découvre le travail de Giorgio Morandi, qui le marque fortement. A son retour en Suisse, en 1943, il s’installe à Veyras, en Valais, dans un cabanon au milieu des vignes qu’il ne quittera plus – sauf pour les voyages qui le portent, toujours et encore, vers les lumières de l’Italie et de la Drôme, où réside son ami le poète Philippe Jaccottet.
Il y peint, grave, dessine et, à partir de 1975, travaille à l’aquarelle. Les formats restent modestes et les sujets sont d’un extrême classicisme: paysages de montagne à la lumière changeante, scènes d’Italie, observation de menus éléments naturels, natures mortes épurées. Son travail relève bel et bien du «monumental minuscule», comme le résume parfaitement le commissaire.
L’exposition de Vevey se concentre sur l’oeuvre sur papier, et s’organise autour de thématiques simples: le paysage, la nature morte, le portrait, la collection d’estampes et gravures qu’a constituée l’artiste au cours de sa vie et jusqu’à sa disparition en 2012, ainsi que les oeuvres destinées à l’édition. Les accrochages mêlent librement dessins, gravures et peintures de l’artiste à ceux d’autres créateurs, qu’il a largement collectionnés.
Anachronisme esthétique
Les époques se mélangent, de Piranèse à Picasso, de Goya à Villon. Mais là encore, le classicisme traverse tout. Et c’est peut-être la dimension la plus étonnante de ce travail, qui s’est déployé loin de l’histoire récente des avant-gardes, dans un compagnonnage mental choisi avec les oeuvres de la Renaissance, celles des classiques italiens comme Canaletto et quelques modernes seulement. L’artiste avait d’ailleurs une passion pour les papiers anciens, qui confèrent à certaines de ses oeuvres un aspect matériel déroutant: elles semblent plus anciennes qu’elles ne le sont en réalité. Il transforme, en somme, l’anachronisme en qualité esthétique.
Il faut extirper Palézieux des malentendus qui grèvent la réception de son oeuvre, affirme aujourd’hui Florian Rodari: ce n’est ni une oeuvre silencieuse, car elle permet d’entendre le bruit du monde, ni une oeuvre hors du temps puisque chaque dessin, chaque gravure, a pour effet de plonger celui qui les regarde dans une durée. Le commissaire y voit même un questionnement sur la notion de contemporain, dans le prolongement des réflexions récentes du philosophe italien Giorgio Agamben. Dans Qu’est-ce que le contemporain?, ce dernier définit en effet la contemporanéité comme «une singulière relation avec son propre temps, auquel on adhère tout en prenant ses distances».
Antidote idéal
Pourtant, pour le paraphraser, Palézieux se positionne du côté de la prise de distance plutôt que de l’adhésion à son temps. Avec sa défense de la lenteur, de l’ascèse et du retrait, il ne saurait être plus à l’opposé de notre époque. Pour ceux qui la jugent trop tumultueuse, voilà donc l’antidote idéal: le croquis d’une noix, la gravure d’un simple pot contre le bruit du monde. Il n’est pas sûr que les tenants d’un art actuel, à défaut de «contemporain», ni les amoureux de la modernité des formes et des discours s’y retrouvent, en revanche.
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