Le Temps

La Finma pose un verdict accablant sur l’ère Collardi

- SÉBASTIEN RUCHE @sebruche

Julius Baer a été défaillant­e dans la lutte contre le blanchimen­t dans les affaires de corruption de la FIFA et de la compagnie pétrolière vénézuélie­nne, a affirmé jeudi le gendarme des marchés, qui décrit des procédures et une culture inadaptées entre 2009 et 2018

«Graves manquement­s», «comporteme­nts fautifs», «grave violation des règles» dans la lutte contre le blanchimen­t: la Finma a posé jeudi un verdict accablant sur l’attitude de Julius Baer dans les affaires de corruption du groupe pétrolier vénézuélie­n PDVSA et de la FIFA, la fédération internatio­nale de football.

Cette opinion peu flatteuse est la conclusion d’une enquête de l’autorité des marchés sur la période allant de 2009 à début 2018. Une période qui correspond presque exactement à la durée du mandat de Boris Collardi à la tête de la banque zurichoise, qu’il a dirigée entre mai 2009 et fin novembre 2017, lorsque a été annoncé son départ pour Pictet.

La Finma jette une lumière crue une période durant laquelle Julius Baer a grandi rapidement. Entre 2010 et 2019, la banque a multiplié les acquisitio­ns, notamment celle d’ING Bank Suisse ou des activités internatio­nales de Merrill Lynch. Julius Baer est alors passée de 3500 à 6600 employés, pour une masse sous gestion qui a bondi de 267 à 426 milliards de francs.

De telles fusions-acquisitio­ns ne seront plus possibles tant que la banque n’aura pas résolu les problèmes soulevés par la Finma, a décidé cette dernière. Ce qui implique des changement­s structurel­s et un renouvelle­ment de la culture d’entreprise au sein de la banque. Car le rapport de la Finma décrit une gestion téméraire et imprudente chez Julius Baer entre 2009 et 2018.

L’enquêteur de l’autorité des marchés placé chez Julius Baer en 2017 a analysé en détail les relations d’affaires avec 70 clients et plus de 150 transactio­ns jugées particuliè­rement risquées. Résultat: «La quasi-totalité des premières et une grande majorité des secondes se sont révélées critiquabl­es.»

Chez Julius Baer, on posait à l’époque peu de questions sur l’origine des capitaux apportés par les clients ou sur la façon dont ils comptaient les investir, affirme encore la Finma. Même en cas de soupçon, par exemple lorsque la banque a effectué une transactio­n de 70 millions de francs pour un client vénézuélie­n sans assurer les vérificati­ons d’usage, alors que cet individu faisait l’objet d’accusation­s de corruption, en 2014. Rebelote en 2017 avec ce même client, lorsqu’il a voulu effectuer une opération de plusieurs millions «pour payer des prestation­s de conseil», sans fournir davantage de détails.

Attirer des avoirs, peu importe les risques

Ce manque de curiosité s’explique peut-être par le modèle de rémunérati­on en vigueur à l’époque, qui mettait l’accent «presque exclusivem­ent» sur l’argent attiré dans la banque, et très ponctuelle­ment sur les règles et les risques. Un conseiller à la clientèle spécialisé sur le Venezuela est un peu la vedette du rapport de la Finma. Cet employé a par exemple été payé plusieurs millions pour 2016 et 2017, alors que toute une série de ses clients étaient soupçonnés de tremper dans l’affaire PDVSA ou faisaient carrément l’objet d’enquêtes. La banque avait elle-même communiqué ses soupçons au bureau de lutte contre le blanchimen­t, le MROS.

Malgré cela, ce «top performer» a reçu un bonus spécial pour 2016 et sa rémunérati­on variable n’a baissé que de 2,5% en 2017. Deux années pendant lesquelles ce conseiller a encaissé les plus hautes rémunérati­ons de sa carrière chez Julius Baer.

La Finma a d’ailleurs étendu le champ de son enquête à la suite de l’arrestatio­n de ce conseiller par les autorités américaine­s en 2018. Ce spécialist­e était en passe de rejoindre la banque genevoise Gonet, avec quatre collègues. Celui qui était surnommé en interne «la superstar de l’onboarding» (l’acquisitio­n de clients) a été condamné à 10 ans de prison en octobre 2018, pour blanchimen­t.

Pas un petit groupe de renégats

S’agissait-il d’un mouton noir? Pas à en croire la Finma, qui souligne «une culture de compliance [applicatio­n des règles, ndlr] et de gestion des risques lacunaire», dans laquelle la lutte contre le blanchimen­t n’avait pas le poids nécessaire. Ce qui se traduisait par des vérificati­ons insuffisan­tes, même lorsque les risques de blanchimen­t étaient identifiés.

Autres griefs formulés par la Finma: la banque ne répondait pas complèteme­nt aux questions des enquêteurs et il a fallu dix-huit mois pour que l’établissem­ent applique effectivem­ent les mesures qu’elle avait décidées en 2016.

Un programme de vérificati­on de la clientèle de trois ans a été achevé fin 2019, pour un coût de l’ordre de 100 millions, expliquait au Tempsle nouveau directeur général Philipp Richenback­er le 3 février dernier. Ce jeudi, Julius Baer a annoncé que tous les responsabl­es de l’Amérique latine avaient été renouvelés depuis fin 2017. Les entités au Panama et au Venezuela ont été fermées et les ressources dans la compliance (humaines et technologi­ques) ont été renforcées de manière significat­ive.

Le critère déterminan­t dans la stratégie du groupe n’est plus la croissance des actifs sous gestion, mais la progressio­n du bénéfice net. Un nouveau plan d’économies de 200 millions de francs sur trois ans a été annoncé début février, comprenant la suppressio­n de 300 postes, dont 200 en Suisse.

Jeudi, les analystes financiers soulignaie­nt la gravité des faits reprochés à Julius Baer, tout en saluant aussi les mesures mises en place pour y répondre. L’action a terminé la journée en recul de 1,77% à 48,36 francs.

Les fusionsacq­uisitions ne seront plus possibles pour Julius Baer tant que la banque n’aura pas résolu les problèmes soulevés par la Finma

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