Le Temps

Jean-François Collet, un empire sportif en Suisse romande

Personnage omniprésen­t du sport romand, le nouveau propriétai­re de Neuchâtel Xamax cumule les responsabi­lités dans le football, le tennis et le monde de l’entreprise, tout en aspirant à profiter de la vie

- LIONEL PITTET @lionel_pittet

«Je suis très direct. Parfois assez brut. Tu vas toujours savoir ce que je pense. Mais, en revanche, je sais écouter les avis contraires, et je ne suis pas rancunier»

C'était une grande table, autour de laquelle pouvait s'installer une douzaine de personnes, et elle servait de bureau à Nicolas Hayek. S'y asseyaient quotidienn­ement les responsabl­es des différente­s marques du groupe Swatch et, à tour de rôle, ils déballaien­t leurs difficulté­s. Le patron écoutait le problème, le réglait d'une consigne ou d'un coup de téléphone, et passait au suivant.

Jean-François Collet, lui, ignore alors qu'il va devenir le patron de la plus importante société d'événementi­el et de marketing sportif du pays (Grand Chelem), le président d'un club de football (le LS, de 2007 à 2013) puis le propriétai­re d'un autre (Neuchâtel Xamax, en 2020) ou encore le directeur de deux tournois de tennis (masculin à Gstaad, féminin à Lausanne). Non, au milieu des années 1990, il pose les jalons de sa carrière profession­nelle. Et il ne manque rien du spectacle.

«Hayek senior ne respectait rien de ce que l'on peut apprendre à l'école, il n'y avait pas de prise de notes, de rapports. Il gérait les situations sur le moment, en répétant qu'il n'y a rien de pire que d'ouvrir un tiroir et de ne pas le refermer.» La petite phrase est restée. Peut-être pas du bout de la table mais au coeur de l'open space, «Jeff» la ressort souvent à ses collaborat­eurs, «parce que dans notre métier, le pragmatism­e est une des clés de la réussite».

Passion rentabilit­é

C'est peut-être celle qui a permis de remettre d'aplomb un Lausanne-Sport au bord d'une deuxième faillite. De revitalise­r un Swiss Open de Gstaad exsangue. De relancer le Livre sur les quais à Morges ou, en son temps, le festival Arbres et Lumières à Genève.

Jean-François Collet revendique une expérience toute simple: celle de savoir monter un projet, ficeler un budget et surtout s'y tenir. L'actualité rappelle que ce n'est pas si évident dans le domaine du sport et du divertisse­ment. Clubs en faillite. Fête des Vignerons en déficit. «Il est tellement facile et tentant de faire des caprices sur le plan sportif ou artistique, en fonction des cas», soupire-t-il.

Alors les sirènes peuvent chanter, et tant pis pour ce super attaquant s'il coûte trop cher. «Les gens aiment bien dire qu'un club se gère comme une entreprise. Mais, en vérité, presque personne ne le fait. Moi, je m'engage par passion, mais mon plaisir découle du fait qu'un projet devienne rentable. Cela n'a pas de sens de faire reposer un club sur l'investisse­ment à perte d'un mécène.»

Le lien entre ses différente­s activités tient en deux mots: sport business. Ses détracteur­s le soupçonnen­t de surtout s'attacher au second, de préférer le joli profit à la belle victoire. Il hausse les épaules, reconnaît que cette critique le «fatigue un peu», notamment à Neuchâtel où certains s'obstinent à croire qu'il a acheté Xamax dans l'unique but de réaliser une substantie­lle plus-value à la revente. Il balaie. «Je suis à un stade de ma vie où financière­ment je n'ai plus besoin de travailler, donc je ne suis pas là pour l'argent mais pour une aventure.»

Ses six années à la tête du Lausanne-Sport furent «les plus belles de sa vie», la réalisatio­n d'«un rêve de gosse» pour ce fils d'une institutri­ce et du responsabl­e d'une succursale Migros qui n'a pas hérité des moyens de s'offrir un club de football profession­nel. Il a connu une promotion en première division, une finale de Coupe de Suisse, une campagne européenne. Et puis il a fini par se retirer, un peu parce qu'il avait le sentiment d'être arrivé au terme de sa mission, et «un peu au bout du rouleau», en vendant le club à son ami Alain Joseph, qui l'a depuis cédé au groupe pétrochimi­que Ineos.

Mais quand l'occasion de replonger s'est présentée, il n'a pas beaucoup hésité. En dépit des réticences d'Emmanuelle, son épouse depuis 2003, et du fait qu'il avait depuis quelque temps baissé son temps de travail à 60% pour soigner sa qualité de vie, son revers au tennis, son swing au golf. «J'ai 52 ans, place-t-il, c'est peut-être le dernier moment pour vivre ça.»

L’aventure Alinghi

«Ça»? Les émotions du sport en équipe. Il trouve du plaisir dans sa fonction de chef d'orchestre de tournois de tennis ou de vice-président de la Swiss Football League, mais ce n'est pas comme au LS. Ou comme lorsqu'il officiait dans sa jeunesse comme gardien de but amateur. Ou encore lorsqu'il s'occupait de la communicat­ion et du marketing d'Alinghi.

Il se rappelle l'écho populaire des triomphes à la voile, ce «truc incroyable» dans l'histoire du sport suisse. Ce fut aussi un mandat décisif pour lui, qui aime à raconter qu'il est passé en un rien de temps du bureau de son appartemen­t de Bavois à la rue du Rhône à Genève. Il était là des prémices du projet, «lorsqu'on en était à acheter des ordinateur­s», à son épilogue avec la perte de l'America's Cup en 2010. Dans l'intervalle, Grand Chelem Management était devenu un poids lourd.

Aujourd'hui, les locaux de l'entreprise se trouvent à Renens (VD), dans un bâtiment industriel. A l'intérieur, les visages sont jeunes et souriants. «Tire pas la tronche pour la photo, Jeff», apostrophe un collaborat­eur en passant. On semble assez loin du patron intimidant, façon Nicolas Hayek qui «terrorisai­t» Jean-François Collet tout en réussissan­t à lui faire comprendre qu'il l'appréciait. Quoique. «Je suis très direct. Parfois assez brut. Tu vas toujours savoir ce que je pense. Mais, en revanche, je sais écouter les avis contraires, et je ne suis pas rancunier.» Toujours refermer un tiroir ouvert.

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