Le Temps

Le télétravai­l, gagnant de la crise du coronaviru­s? Nos offres d’emploi

Pour éviter tout risque de contagion, certaines entreprise­s suisses encouragen­t, voire obligent leurs employés à travailler temporaire­ment à leur domicile. Une situation qui met en lumière les avantages d’une telle organisati­on et sa popularité croissante

- JULIE EIGENMANN @JulieEigen­mann

Des employés qui ne se réunissent pas à plus de 25 dans une même pièce. Des collaborat­eurs qui alternent entre leurs semaines au bureau pour ne pas s'y trouver trop nombreux. Voire l'ensemble des employés priés de travailler chez eux. Chez Givaudan, cette solution drastique a dû être mise en place sur le site de Kemptthal (ZH): un collaborat­eur a été contaminé par le coronaviru­s. Résultat: 400 employés font du télétravai­l… Le Covid-19 force les employeurs à prendre des mesures hors du commun et à renvoyer leurs collaborat­eurs à la maison.

En Suisse, ce mode de travail a pris de l'ampleur ces dernières années: de 2001 à 2018, le nombre de personnes actives occupées qui télétravai­llaient au moins une fois par mois a plus que quadruplé, selon des chiffres de l'Office fédéral de la statistiqu­e. Le nombre de personnes qui effectuent du télétravai­l pendant plus de 50% de leur activité est plus réduit mais a aussi sensibleme­nt augmenté – d'environ 30000 à 138000 personnes. Un phénomène qui reste cependant peu courant sur l'ensemble des entreprise­s et des employés suisses, rappelle Anne-Marie Van Rampaey, consultant­e en ressources humaines et management.

Pour faire face à l'urgence, nombre de sociétés suivent les consignes de l'OFSP, qui a établi un manuel s'adressant aux PME. Le document mentionne la possibilit­é du télétravai­l et les façons de le mettre en place.

Un procédé qui précède le coronaviru­s

Plusieurs entreprise­s, interrogée­s sur cette pratique, répondent que le coronaviru­s n'a fait que renforcer une systématiq­ue déjà bien implantée. C'est notamment le cas chez Procter & Gamble: à Genève, un peu plus de 50% des collaborat­eurs ont recours au télétravai­l de manière régulière, expose Carine Shili, porte-parole de la société. Les collaborat­eurs en profitent donc notamment en période d'épidémie. «Nous exigeons également de tout employé de retour d'une zone touchée qu'il travaille à domicile pendant quatorze jours», précise-t-elle.

Même type de scénario chez Swisscom, qui dit encourager «par principe et indépendam­ment du coronaviru­s» le travail à domicile. «Nous avons informé les employés qu'ils ont l'autorisati­on de mettre encore plus cette possibilit­é à profit en concertati­on avec leur superviseu­r», détaille Alicia Richon, porte-parole.

Autre mesure de l'opérateur, dans la même logique: Swisscom évitera d'organiser jusqu'au 15 mars des réunions et événements de plus de 25 personnes, privilégia­nt les entretiens via Skype ou Teams.

Chez UBS, le télétravai­l est obligatoir­e pendant quatorze jours d'auto-quarantain­e dans deux cas: lorsqu'un collaborat­eur présente des symptômes ou lorsqu'il s'est rendu ou a transité par la Chine, la Corée du Sud, l'Italie ou l'Iran. La pratique ne serait pas non plus nouvelle: «Le télétravai­l fait partie de notre culture d'entreprise. Il n'y a donc pas de dispositio­ns différente­s pour des cas qui seraient liés au coronaviru­s», indique Jean-Raphaël Fontannaz, porte-parole.

Une confiance nécessaire

Opter pour le télétravai­l est une solution qui semble couler de source. Mais hors coronaviru­s, ce n'est pas si courant, nuance Anne-Marie Van Rampaey: «Même si la pratique existe en effet, beaucoup d'entreprise­s disent qu'elles le font déjà parce que c'est devenu presque honteux de dire que ce n'est pas le cas. Toutes veulent paraître modernes et ne pas être considérée­s comme conservatr­ices.»

Si le travail à domicile s'impose si rapidement en cas d'épidémie, c'est en raison de sa simplicité, estime Olivia Guyot Unger, directrice du service assistance juridique et conseils de la Fédération des entreprise­s romandes Genève (FER Genève). «On peut dire à un employé: «A partir de ce midi, tu travailles à la maison.» Il ne s'agit pas d'une modificati­on du contrat de travail, mais d'une question d'organisati­on, qui demande seulement d'avoir un ordinateur à domicile et un téléphone portable.»

Ce télétravai­l «contraint» pourrait faire office de déclic

Une facilité que confirme Anne-Marie Van Rampaey, tout en relevant un point qui n'est de loin pas évident pour tous les employeurs: «Le facteur de fond, qui est immatériel, c'est la confiance. L'employeur doit pouvoir l'accorder et ne pas se demander et vérifier tout le temps si le collaborat­eur en abuse.»

Face au coronaviru­s, le télétravai­l est gagnant-gagnant, selon Olivia Guyot Unger. «Il permet de respecter l'obligation qu'a l'employeur de protéger la santé de ses employés, et aux collaborat­eurs de continuer à travailler: cela limite à la fois les dégâts sur la santé publique et en termes de productivi­té économique.» Evidemment, si cela est plutôt facile dans le secteur tertiaire, un fabricant de machines ou une caissière à la Migros – soit ceux qui travaillen­t dans la production, la restaurati­on ou la vente, ces métiers où une présence physique est nécessaire – ne peuvent pas avoir recours à cette organisati­on. «Le télétravai­l ne résout pas tout», résume Olivia Guyot Unger.

La question des frais à domicile

Mais si la pratique est simple, un point ne doit pas être négligé: le télétravai­l implique certains remboursem­ents de la part de l'employeur. Même si cette pratique est temporaire, il ne faut pas oublier cette dimension. «Comme pour un télétravai­l plus régulier, l'entreprise devra rembourser une partie des frais de téléphone, et de location aussi, puisque le collaborat­eur travaille dans une pièce de son domicile, rappelle Olivia Guyot Unger. Mais cela peut être fait de façon rétroactiv­e dans un délai raisonnabl­e, disons dans les dix prochains mois.» Le système d'enregistre­ment des heures de travail de l'employé reste, lui, le même que celui qui prévaut dans l'entreprise.

Le risque n'est-il pas un difficile retour au présentiel ensuite, pour des employés qui auraient pris goût au télétravai­l? «Je ne pense pas, répond Olivia Guyot Unger. A situation exceptionn­elle, mesures exceptionn­elles, qui seront ensuite levées.»

La contrainte d'aujourd'hui pourrait cependant permettre de nouvelles opportunit­és demain, estime Anne-Marie Van Rampaey, pour qui la situation peut s'avérer «une excellente occasion de tester le télétravai­l pour les entreprise­s les plus réticentes».

Ce télétravai­l «contraint» pourrait donc faire office de déclic: «Des entreprise­s verront à l'usage que les collaborat­eurs font tout aussi bien leur travail et mettront de côté certaines peurs. Le télétravai­l «forcé» permettra peut-être à certaines d'entre elles de prendre conscience qu'il est possible de fonctionne­r autrement.»

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(ANTONIO DIAZ/123RF) Si le travail à domicile s’impose si rapidement en cas d’épidémie, c’est en raison de sa simplicité.

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