Pourquoi les organisations sportives ont si mauvaise presse
«L’Atlas du bien commun», réalisé par le Center for Leadership and Values in Society (CLVS) de l’Université de Saint-Gall, a publié en 2019 une étude sur les représentations de l’utilité sociale des entreprises et des organisations suisses et internationales. L’enquête, menée sur un total de 14946 personnes domiciliées en Suisse, indique un très mauvais classement des grandes organisations sportives basées dans le pays.
Le CIO est classé au 94e rang, juste après Credit Suisse. L’UEFA est 107e, à peine mieux classée que Glencore. La FIFA pointe au 109e rang, juste avant Marlboro… qui ferme la marche. Bien que l’idée même de l’existence d’un bien commun au fondement de l’enquête soit discutable, il est intéressant de tenter d’expliquer pourquoi les organisations sportives, qui déclarent promouvoir l’éducation, la santé et l’éthique, sont classées dans la même catégorie que des fabricants de cigarettes ou des spécialistes du négoce de matières premières dont l’activité souffre d’une réputation sulfureuse et dont la finalité est d’enrichir leurs actionnaires.
La première explication est que les scandales liés au sport, notamment les affaires de dopage et de corruption, les collusions ou les abus de pouvoir, ont durablement affecté la perception des organisations sportives.
Mais juger des organisations sportives à l’aune de leurs dérives produit une vision caricaturale de leur contribution au bien commun. Par exemple, elles sont fréquemment assimilées à des organisations marchandes, uniquement guidées par le profit. C’est ce qui ressort de l’argumentation du refus des villes ou régions à se porter candidates à l’organisation d’événements, comme cela a été le cas des Valaisans en 2018 pour les Jeux olympiques d’hiver. La critique de la logique du profit est également très présente dans les analyses du monde académique.
OEuvrer à la qualité de vie par le sport
La quête du profit est probablement allée trop loin. Il ne fait pas de doute que les grandes organisations ont davantage été guidées par le marketing commercial que par les valeurs éducatives du sport ou les questions de durabilité. Mais il y a un contresens important à cette assimilation puisque les revenus de ces organisations financent le sport associatif: plus de 90% des revenus du CIO ou de l’UEFA sont redistribués et financent les fédérations nationales et internationales, les comités olympiques nationaux et indirectement les clubs.
Ces ressources sont utilisées pour accomplir une diversité de missions dont l’essentiel est de soutenir le développement du sport, voire de contribuer à la qualité de vie par le sport. Il suffit de penser aux récents JOJ de Lausanne et à leur succès populaire pour donner un exemple du levier potentiel que représentent le sport et l’olympisme pour un territoire.
Pour expliquer ce gouffre entre la perception négative des organisations sportives et la diversité de leurs actions, on peut faire l’hypothèse que leur prétention à faire du sport un idéal moral est une erreur. En s’inspirant de sociologues attentifs aux mises en scène de la vie sociale, comme Jeffrey Alexander, on peut faire le constat de leur mauvaise «performance sociale» comme capacité des acteurs à convaincre du sens qu’ils souhaitent donner à leur action.
En présentant le sport comme une grande famille, apolitique, universelle, fraternelle, vertueuse et éducative, les organisations sportives ont produit des attentes impossibles à satisfaire
Le sport a fréquemment été idéalisé par les organisations sportives, en particulier par une communication qu’elles pensaient être au service de leur réussite. En présentant le sport comme une grande famille, apolitique, universelle, fraternelle, vertueuse et éducative, les organisations sportives ont produit des attentes impossibles à satisfaire.
Le sport a été présenté comme vertueux par essence. Mais les acteurs du sport ne sont pas meilleurs, ni moins bons, que d’autres citoyens ou d’autres organisations. De plus, cette idéalisation s’est accompagnée de promesses intenables. Par exemple, en prétendant s’engager à gagner la guerre contre le dopage, on a jeté le discrédit sur l’ensemble de l’antidopage lorsque des affaires comme celle des athlètes russes dopés à Sotchi ont éclaté. Cela a créé les conditions d’une perte de crédibilité des organisations sportives.
Au-delà des quelques acteurs du sport qui ont dysfonctionné, de nombreux dirigeants du sport se sont fourvoyés en s’obstinant à célébrer le sport sans le questionner de façon critique. Par conséquent, ils ont favorisé une gestion à court terme de l’image des organisations sportives. De peur d’affaiblir la rente liée à la popularité du sport, ils ont privilégié le déni des difficultés et les promesses.
Faire face aux détracteurs
Ce choix n’était pas le meilleur pour convaincre de leur contribution à ce qui est perçu comme étant un bien commun dans l’enquête du CLVS. L’Agenda 2020 du CIO, dont un des principaux objectifs annoncés est de gagner en crédibilité, montre que les organisations sportives sont sensibles à ces enjeux. Mais il est fort probable que les citoyens suisses se demandent encore s’il s’agit d’un engagement authentique ou seulement d’un dispositif scénique.
Pour faire face au discrédit et aux détracteurs, il faudrait que les organisations sportives se débarrassent de leur appréhension acritique du sport. Sinon, il y a un risque qu’elles laissent encore plus de champ libre aux entreprises qui tirent profit de la partie rentable du sport.
Il n’est pas exclu qu’une coalition de clubs crée une ligue privée pour accaparer les bénéfices d’un équivalent de l’actuelle Ligue des champions ou que des entreprises, tels les X Games ou Red Bull Sports Events, et des sports émergents tels que le MMA et l’e-sport s’imposent dans le paysage des événements médiatisés malgré la vacuité de leur vocation éducative dans certains cas, ainsi que l’absence d’une redistribution de leurs profits. Il y a donc une nécessité de mieux rendre compte de l’utilité sociétale des organisations sportives en allant au-delà de plaidoyers perçus comme de simples outils de communication.
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