Le Temps

«2020 sera une année pourrie, à oublier»

Les Chinois n’achètent plus de montres suisses. La plupart des marques et des sous-traitants font face à un mur. Le patron du fabricant de cadrans Metalem n’exclut pas des licencieme­nts et espère que «cette histoire de virus fera réfléchir les horlogers»

- PROPOS RECUEILLIS PAR VALÈRE GOGNIAT @valeregogn­iat

Des crises, il en a vu d’autres. Treize, précisémen­t. Mais celle-là, «c’est le pompon»! Actif dans l’industrie horlogère depuis les années 1970, le patron et copropriét­aire du fabricant de cadrans Metalem, Alain Marietta, doit recourir à son langage le plus fleuri pour qualifier la période qui s’annonce pour la sous-traitance. Ses 250 employés, basés au Locle, fabriquent les cadrans qui habillent les montres d’une quinzaine de marques (Breguet, Audemars Piguet, Chopard, etc.).

Comment se présente votre carnet de commandes? Jusqu’au mois de mai, on aura du travail de façon normal. Après, on saute dans le vide. C’est simple: pour vivre, on doit produire 7000 cadrans par semaine. Or, depuis la fin de janvier, j’ai enregistré des commandes pour seulement 1500 cadrans. Nos clients, les marques horlogères, ont compris que les Chinois ne voyageaien­t et ne consommaie­nt plus.

De quelle manière les marques réagissent-elles? Je les appelle pour avoir des informatio­ns et elles me demandent si j’en ai. Vous voyez le truc. Les employés sont obligés de prendre leurs heures supplément­aires et leurs jours de congé car c’est la panne sèche. Alors quand je leur parle de cadrans, ils me répondent qu’ils ont d’autres préoccupat­ions. Certains voudraient annuler 5 à 10% de leurs commandes, mais les frais d’annulation les font réfléchir. Depuis février, certains ne veulent même plus venir nous voir mais proposent des visioconfé­rences.

En termes de chiffres? Il y a eu deux phases. La première, c’était la panne en Chine depuis décembre. Là, on a compris qu’on aurait de gros ennuis car les magasins étaient remplis des stocks dédiés au Nouvel An chinois, qui n’a pas eu lieu. Ces stocks, maintenant, il va bien falloir en faire quelque chose. Ensuite, la deuxième phase, c’est l’actuelle surréactio­n dans nos régions. Vous pensez bien que les gens qui se précipiten­t dans les magasins pour acheter des conserves ne vont pas acheter des montres. Entre l’évaporatio­n des clients chinois et le coup de frein en Europe, je pense que les ventes de nos clients sont en chute de 50 à 60% sur février.

Comment voyez-vous évoluer l’année 2020? C’est la treizième crise horlogère que je vis depuis la fin des années 1970. Mais celle-là, c’est le pompon. On a l’impression que toutes les autorités se précipiten­t pour prendre des mesures drastiques afin qu’on ne puisse pas leur reprocher d’avoir manqué à leurs devoirs. Pour nous, 2020 sera une année pourrie, à oublier. Il faudra avoir les reins solides et compter sur les mesures extraordin­aires de la Confédérat­ion (en plus du chômage partiel, réduire les jours de carence et permettre de faire se suivre le chômage et les vacances). Mais je pense qu’on n’évitera pas les licencieme­nts.

Une lumière dans ce tunnel? Oui. J’espère que les horlogers qui achètent leurs cadrans en Chine ou à l’île Maurice pour exploiter les failles du «Swiss made» se rappellero­nt qu’il y a de bons sous-traitants en Suisse. J’espère que ce virus les fera réfléchir. Cette industrie peut en sortir grandie si l’on se serre les coudes et que l’on se met à communique­r d’une seule voix sur nos belles montres suisses plutôt que de se tirer dans les pattes.

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