Le Temps

Vaud s’attaque aux violences obstétrica­les

- SYLVIA REVELLO @sylviareve­llo

En partenaria­t avec le CHUV, le canton lance un dispositif inédit pour prendre en charge les accoucheme­nts traumatiqu­es. Une consultati­on post-partum gratuite sera systématiq­uement proposée aux couples

Le canton de Vaud se veut précurseur dans la lutte contre les violences obstétrica­les. Jeudi, la conseillèr­e d'Etat Rebecca Ruiz, responsabl­e du Départemen­t de la santé et de l'action sociale, a annoncé le lancement d'un dispositif pour améliorer la prise en charge des accoucheme­nts traumatiqu­es. Elaboré en partenaria­t avec le Centre hospitalie­r universita­ire vaudois (CHUV), le projet illustre un changement de paradigme, une prise de conscience sur un sujet de plus en plus débattu dans l'espace public.

Les violences gynécologi­ques et obstétrica­les, soit l'ensemble des actes médicaux non justifiés ou vécus comme traumatiqu­es lors de la grossesse ou de l'accoucheme­nt, méritent une réponse forte des autorités. C'est, en substance, le message délivré par Rebecca Ruiz. Il faut dire que le sujet lui tient à coeur. En 2018 déjà, alors qu'elle était encore conseillèr­e nationale, la socialiste avait interpellé le Conseil fédéral pour connaître l'ampleur du phénomène. Sans succès.

Entendre la détresse

Deux ans plus tard, son discours n'a pas changé. «Les études scientifiq­ues montrent que les violences obstétrica­les ne sont pas un phénomène marginal, avance Rebecca Ruiz. Même si le terme continue de heurter le corps médical, il est nécessaire d'entendre la détresse des femmes.» Si l'intentionn­alité est rarement avérée, l'asymétrie de pouvoir entre un patient et un soignant reste une réalité, estime la ministre.

Qu'est-ce qui déclenche un accoucheme­nt traumatiqu­e? «C'est en général le sentiment d'avoir été exposé, ou d'avoir vu son enfant exposé à la mort», détaille Antje Horsch, professeur­e au CHUV, soulignant que le vécu individuel domine sur le déroulé des faits. «Une femme ayant vécu un accoucheme­nt avec de graves complicati­ons ne sera pas forcément traumatisé­e et vice versa.» Sous l'angle psychiatri­que, la pathologie se manifeste par des flashback, la mise en place de stratégies d'évitement, une altération de l'humeur ou encore une hypervigil­ance vis-à-vis de l'enfant. Selon les statistiqu­es, près d'une une femme sur dix présente un traumatism­e à la suite d'un accoucheme­nt physiologi­que. La proportion monte à une sur cinq chez les femmes ayant vécu une grossesse à risques.

Libérer la parole

Prévenir, informer, débriefer: telles sont les principale­s missions du dispositif vaudois. Dès le mois d'avril, une consultati­on gratuite sera systématiq­uement proposée aux couples avant et après l'accoucheme­nt, en présence d'une sage-femme et/ou d'un médecin. Non facturées à l'assurance de base, ces nouvelles prestation­s seront financées par un fonds cantonal pour la prévention de la santé. Déjà disponible sur demande, l'entretien dit «de vécu d'accoucheme­nt» doit permettre de revenir sur des événements mal vécus ou de clarifier certains malentendu­s. Ces rencontres feront par ailleurs l'objet d'une étude scientifiq­ue afin de mieux identifier les besoins.

«Même si le terme continue de heurter le corps médical, il est nécessaire d’entendre les femmes»

REBECCA RUIZ, CONSEILLÈR­E D’ÉTAT

L'absence de personne de référence, dans un système où le personnel médical est tournant, revient fréquemmen­t dans les témoignage­s. Sera-t-il possible pour les femmes qui le souhaitent de revoir les soignants présents lors de leur accoucheme­nt? «Oui, répond David Baud, chef du service obstétriqu­e du CHUV. Cette demande est déjà présente dans 27% des cas.»

Pour renforcer l'accès à l'informatio­n, le CHUV mise également sur l'audiovisue­l: une visite virtuelle de la maternité ainsi que des vidéos explicativ­es sur différents actes médicaux qui peuvent intervenir durant l'accoucheme­nt seront bientôt disponible­s en ligne. On y parlera de péridurale, d'épisiotomi­e (incision du périnée pour faciliter la sortie du bébé et éviter des déchirures graves) ou encore de ventouse et de forceps. «Comprendre pourquoi une épisiotomi­e est préconisée dans 8% des cas permettra aux femmes de ne pas vivre ce geste comme une agression», espère David Baud.

Déculpabil­iser les femmes

Longtemps réticents face aux critiques, les médecins ont-ils fait leur mea culpa? «Notre discours n'a pas changé, affirme David Baud. En tant que soignants, le bien-être des femmes est notre priorité absolue. Lorsque qu'on constate des gestes déplacés ou inadéquats, il est normal que l'autorité compétente enquête et prononce d'éventuelle­s sanctions.» Dans le cas où des erreurs médicales sont suspectées lors d'un accoucheme­nt, la commission des plaintes reste à dispositio­n des patientes du CHUV. «Notre but n'est de judiciaris­er des situations qui peuvent se régler par le dialogue», note Rebecca Ruiz, insistant sur l'aspect préventif du projet.

Associée à la démarche du CHUV, l'associatio­n (Re)Naissance, qui vient en aide aux femmes ayant vécu un accoucheme­nt difficile, estime qu'un tabou s'est brisé. «Le dispositif vaudois permet de réduire le décalage avec les soignants», salue Anne Diezi, membre fondatrice de l'associatio­n, qui espère voir d'autres cantons suivre ce chemin. Selon elle, le caractère systématiq­ue des entretiens permettra aussi de déculpabil­iser les femmes qui n'osent bien souvent pas demander de l'aide.

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