Le Temps

Le cyclisme, cible idéale pour le coronaviru­s

Coureurs en quarantain­e, courses annulées, équipes renonçant à participer à certaines épreuves: le milieu de la petite reine est frappé de manière globale par la crise actuelle. Ce n’est pas une surprise, vu la promiscuit­é qui règne dans le peloton

- CLÉMENT GUILLOU (LE MONDE)

Ils sont toujours entre deux avions, tapent dans les mains des spectateur­s et se passent un stylo unique pour signer la feuille d’émargement, toussent, se déplacent à 180, boivent au bidon préparé par d’autres et vivent dans des cars et des chambres climatisés. Sans surprise, le cyclisme est le premier sport à dérailler de manière globale sous l’effet de l’épidémie de coronaviru­s.

Depuis le 27 février et jusqu’au 14 mars, trois équipes sont partiellem­ent confinées dans un hôtel d’Abu Dhabi, où six cas de coronaviru­s ont été confirmés en marge du Tour des Emirats arabes unis, qui a été écourté à deux jours de l’arrivée.

Décision radicale

Mercredi, deux des meilleures équipes mondiales, Ineos et Mitchelton-Scott, ont annoncé une décision radicale: leurs coureurs (et coureuses pour Mitchelton-Scott) ne participer­ont à aucune course d’ici au 22 mars. Ineos cite la mort à 40 ans de son directeur sportif Nicolas Portal comme l’une des deux raisons de ce retrait de la compétitio­n, l’autre étant bien sûr l’épidémie en cours. C’est que le cyclisme n’est pas heureux: en mars, le gros du calendrier se concentre sur l’Italie, où la barre des 100 morts dus au coronaviru­s a été franchie.

Jeudi, la formation kazakhe Astana a à son tour annoncé qu’elle ne participer­ait «à aucune compétitio­n jusqu’au 20 mars», une décision «prise après une réflexion approfondi­e de la direction de l’équipe et de ses médecins». Dans la foulée, l’équipe AG2R La Mondiale annonçait son forfait pour les prochaines courses italiennes Tirreno-Adriatico (du 11 au 17 mars) et Milan-San Remo (21 mars), «par mesure de précaution pour la santé de nos coureurs et des membres de l’encadremen­t», selon son patron, Vincent Lavenu. Jumbo-Visma et Sunweb ne tardaient pas à prendre la même décision.

Un peu plus tôt, le groupe RCS avait fini par se résoudre à annuler les Strade Bianche, une épreuve prévue samedi pour laquelle de nombreuses formations avaient déclaré forfait. Mais l’organisate­ur italien s’accroche à Milan-San Remo, première grande classique de la saison, qui doit traverser certaines localités lombardes concernées par des mesures de confinemen­t, malgré un décret gouverneme­ntal qui interdit la tenue de toute compétitio­n sportive jusqu’au 3 avril, sauf lorsqu’elle peut se dérouler sans spectateur.

«Pas de barrière»

Dans une lettre ouverte publiée mercredi, les médecins de 17 équipes cyclistes réclamaien­t déjà l’annulation des épreuves italiennes. Ils citaient notamment le risque de mise en quarantain­e de la totalité d’une équipe si un coureur tombe malade ou la surcharge à laquelle est soumis le système hospitalie­r italien – ce qui impliquera­it le transfert à l’étranger de coureurs en cas de chute.

«Ce grand cirque ambulant peut avoir en son sein déjà contracté la maladie et la déplacer sans aller en Italie, dit le médecin d’AG2R-La Mondiale, Eric Bouvat. On a des coureurs qui viennent du monde entier, de pays très différents, où l’état de l’épidémie est pour certains inconnu. La population est tellement diverse, chez les coureurs comme au sein des encadremen­ts, que l’on n’a pas de barrière.»

«A l’intérieur même du peloton, la transmissi­on est facile dans des tas de situations, hors course comme pendant la course, poursuit le docteur. Dans le peloton, les coureurs respirent à fond et sont proches les uns des autres. A table, dans le car, ils sont tous côte à côte. Le mètre de sécurité est très souvent absent.»

«On a des coureurs qui viennent du monde entier, de pays très différents, où l’état de l’épidémie est pour certains inconnu» ÉRIC BOUVAT, MÉDECIN D’AG2R-LA MONDIALE

La propagatio­n des virus est l’obsession des médecins d’équipe, prompts à décréter l’isolement d’un coureur à partir du moment où on lui a diagnostiq­ué une gastro-entérite ou une angine virale. Sur le Tour de France 2019, l’équipe Groupama-FDJ employait un prestatair­e pour évacuer les bactéries et allergènes des systèmes de climatisat­ion des hôtels, «le plus gros danger du coureur cycliste», selon Thibaut Pinot. «Je ne vais pas m’arrêter de taper les mains des enfants ou de signer des autographe­s avec un stylo qui peut être plein de microbes», disait toutefois le leader français.

Guillaume Martin, leader de l’équipe Cofidis, est loin de l’hypocondri­e mais admet que «si le speaker de la course vous postillonn­e au visage, on espère qu’il n’a pas le coronaviru­s».

«Toujours à la limite»

Chez Cofidis, comme dans son ancienne équipe belge WantyGroup­e Gobert, une solution hydroalcoo­lique traîne toujours à table ou dans le car de l’équipe. Mais l’injonction de se laver les mains n’atteint pas celle en cours chez Ineos: dans l’équipe britanniqu­e, le gel est à l’entrée du car et obligatoir­e pour tout étranger souhaitant pénétrer dans le refuge des coureurs.

«Il est sûr qu’on est toujours à la limite en termes immunitair­es: un sportif de haut niveau est soit en excellente santé, soit malade», observe Guillaume Martin, qui disputera Paris-Nice. «Sur le Tour de France, tous les ans, beaucoup de coureurs tombent malades en plein mois de juillet. Le fait d’avoir un léger mal de gorge est considéré comme un signe de forme», ajoute le grimpeur français.

Eric Bouvat constate toutefois que «ces jeunes gens résistent plus facilement aux différente­s infections que la population générale». Et en ce début de saison, la priorité des coureurs est moins de rester en bonne santé que de trouver des épreuves à disputer. Voire, pour une dizaine d’entre eux, de quitter enfin leur hôtel d’Abu Dhabi.

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(JUSTIN SETTERFIEL­D/GETTY IMAGES) Le cyclisme joue de malchance: en mars, le gros du calendrier se concentre sur l’Italie, pays durement frappé par le coronaviru­s.

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