Dialogue de sourds chez Philip Morris
La première phase de la restructuration en Suisse du cigarettier arrive à son terme. Une partie des employés estime ne pas avoir été entendue et demande des prolongations
Un préavis minimum de trois mois, le versement d'un demi-salaire annuel à titre d'indemnité… Les contours du plan social proposé par Philip Morris sont tracés. Ils résultent de la procédure de consultation lancée le 27 janvier dans le cadre de la restructuration que le fabricant de cigarettes a décidé d'opérer en Suisse.
Dans sa communication, le géant du tabac avait motivé cette réorganisation par sa volonté d'évoluer vers «un futur sans fumée». Un mouvement que sa cigarette électronique Iqos, développée en Suisse, doit appuyer.
Restructuration en deux temps
Pour être précis, c'est vers la fin de la première partie de cette refonte que se dirige le groupe américain, car sa réorganisation se déclinera en deux temps. Touchant principalement le site de Lausanne, la première étape doit se solder par la suppression de quelque 260 postes de travail. La deuxième phase devrait affecter davantage les activités neuchâteloises de la société, qui emploie au total 3300 personnes en Suisse.
Bien que Philip Morris ait annoncé la fin de la procédure de consultation, certains employés demandent des prolongations. Mécontents, ils estiment ne pas avoir eu l'occasion d'entretenir un véritable dialogue avec leur direction générale. Sur la base de ce constat, ils ont souhaité mettre sur pied une représentation du personnel. Une initiative qui bénéficie du soutien de plusieurs centaines de collègues et que, selon eux, le groupe n'encourage pas.
La multinationale réfute la critique, signalant qu'un groupe de travail a été créé et que des séances d'information ont été organisées. Dans un premier temps, les employés n'ont pas manifesté le besoin d'une représentation formelle, poursuit-elle.
Dans un message adressé à l'ensemble de ses équipes, la direction a en tout cas finalement fait savoir lundi qu'elle allait organiser un vote en ce sens. «Nous ne serons pas en mesure de fournir aux personnes impactées des avantages au-delà de ceux qui sont prévus par le droit suisse ou les obligations contractuelles, si le plan social n'est pas finalisé avant l'annonce des licenciements», prévient-elle toutefois dans ce courriel, que Le Temps s'est procuré. Cette annonce est prévue ce mois.
Une manière à peine déguisée de faire pression, estiment les partisans de la représentation du personnel, qui préfèrent ne pas témoigner à visage découvert.
Cette situation est loin d'être anodine puisqu'une deuxième vague de licenciements se prépare. Elle est emblématique des rapports de force qui prévalent durant une période que le législateur prévoit comme un espace de dialogue.
Toute entreprise dotée de plus de 50 employés a droit à une représentation du personnel comme interlocutrice. «En principe, avoir des représentants du personnel est un avantage pour
«La limite du système du dialogue social en Suisse, c’est que l’employeur n’est en principe pas obligé de retenir les propositions des employés ou de leur représentation» JEAN-PHILIPPE DUNAND, PROFESSEUR SPÉCIALISTE DU DROIT DU TRAVAIL
tout le monde», observe Jean-Philippe Dunand. Ce professeur à l'Université de Neuchâtel et spécialiste du droit du travail précise: «Dialoguer avec un nombre élevé de personnes peut vite se révéler compliqué. Et si l'entreprise joue le jeu, il peut y avoir des conseils judicieux.»
Secrétaire syndicale chez Unia, dans le canton de Neuchâtel, Catherine Laubscher, qui ne suit pas ce dossier, confirme: «Parfois, cela permet vraiment de réduire le nombre de licenciements, de trouver une autre place pour certaines personnes ou même, dans des cas plus rares, de trouver des solutions telles qu'une reprise de certaines activités par des employés.» Ce fut par exemple, se souvient-elle, le cas au Locle, lors de la fermeture de l'entreprise Biomet, reprise par une quarantaine d'employés sous une nouvelle enseigne, Mediliant.
Des mesures trop unilatérales?
Une telle issue ne semble évidemment pas à l'ordre du jour dans le cas de Philip Morris. Les employés souhaitaient cependant émettre des suggestions constructives. Ils ont le sentiment de ne pas avoir été entendus, même si la société, qui jouit plutôt d'une bonne réputation en tant qu'employeur, a mis en place des séances d'information et une adresse e-mail – qui a enregistré 400 messages.
Des mesures jugées trop unilatérales. «La limite du système du dialogue social en Suisse, rappelle Jean-Philippe Dunand, c'est que l'employeur n'est en principe pas obligé de retenir les propositions des employés ou de leur représentation.» Catherine Laubscher, rompue à l'exercice des négociations, note également que «plus les centres de décision sont éloignés, plus c'est compliqué». Avant de préciser: «Les groupes américains, par exemple, n'ont pas la culture du partenariat social, mais ce ne sont pas les seuls.»
Les experts relèvent que les négociations sont souvent facilitées lorsque les structures existent déjà en amont. Ainsi, les partenaires se connaissent. Cette première expérience devrait donc servir d'avertissement aux employés de Philip Morris qui devront affronter la deuxième phase du plan de restructuration. Les négociations doivent commencer au printemps.
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