Le Temps

L’Europe solidaire, l’Europe barbare

- FRÉDÉRIC KOLLER JOURNALIST­E

Cette semaine, les plus hautes autorités de l’Union européenne se sont rendues en Grèce pour afficher leur soutien à Athènes. Bruxelles a promis 700 millions d’euros, cent gardes-frontières supplément­aires, un navire, deux patrouille­urs, deux hélicoptèr­es et un avion. Les Grecs pourront mieux sécuriser leurs frontières face à un nouvel afflux de migrants, pour la plupart syriens. «Ceux qui cherchent à tester l’unité de l’Europe seront déçus. Nous resterons fermes et notre unité l’emportera», a expliqué Ursula von der Leyen, présidente de la Commission, au poste-frontière de Kastanies où les candidats à l’asile sont refoulés par des gaz lacrymogèn­es. Charles Michel, président du Conseil, a ajouté que la protection des frontières devait se faire de façon «proportion­nelle en respectant les droits de l’homme» alors que les images de policiers grecs en mer perçant les pneumatiqu­es des migrants étaient relayées par les télévision­s. Voilà pour la solidarité.

C’est ainsi qu’on mesure le chemin parcouru depuis cinq ans et la dernière vague migratoire alimentée par le conflit syrien. A l’époque, la Commission européenne tablait déjà sur une meilleure protection des frontières pour répondre aux attentes légitimes de la Grèce et de l’Italie, en première ligne des flux migratoire­s. Elle bataillait dans le même temps pour imposer un plan d’accueil et de répartitio­n des réfugiés au nom du droit internatio­nal. Quelques pays jouèrent le jeu, quelques-uns prirent leur quota de mauvaise grâce et beaucoup d’autres refusèrent ce «diktat» européen. Face à cette indécision, Angela Merkel prit finalement une décision historique, sans plus de concertati­on, en ouvrant temporaire­ment ses frontières à un million de réfugiés du Proche-Orient. Ce geste, courageux et nécessaire, s’est payé dans les urnes (avec l’essor spectacula­ire de l’extrême droite) et dans l’Union, la plupart des pays européens accusant Berlin d’être irresponsa­ble. C’est sous l’impulsion de cette même chancelièr­e allemande que l’UE, traumatisé­e par une série d’attentats «islamistes», négocia par la suite avec Ankara un accord qui contenta les Etats tout en affligeant les tenants du droit: en échange de milliards d’euros, la Turquie gérerait sur son territoire les réfugiés syriens. Un donnant-donnant dont personne n’était fier, mais qui avait le mérite de faire gagner du temps.

Le temps a passé et l’histoire se répète. Et l’Europe de 2020 semble encore plus faible qu’en 2015, quand l’austérité avait plongé le continent dans une crise existentie­lle. Face à El-Assad le chimique, Poutine le revanchard, Erdogan l’islamiste, Netanyahou le colonisate­ur, Trump le menteur et Xi le conquérant, les Etats européens (dont la Suisse) et l’UE semblent naviguer à vue. Ebranlée par le Brexit, l’Europe tente de sauver son union en jouant la carte de la sécurité. La sécurité économique, environnem­entale, militaire, des frontières. C’est l’Europe protectric­e, à défaut d’être mobilisatr­ice. L’ancien équilibre que cherchait à défendre la Commission Juncker, entre maîtrise des frontières et devoir d’accueil, a simplement disparu. Sans faire de bruit.

Aujourd’hui, c’est l’Europe décomplexé­e de Kurz, voisin d’Orban, qui s’impose. Avec l’idée des nations d’abord, l’Union se limitant à un marché commun et des frontières extérieure­s solidement défendues par un «bouclier».

Comme ses collègues de l’Est, le chancelier autrichien évoque volontiers les valeurs chrétienne­s et leur défense pour convaincre de la légitimité de ce projet. Un refrain bien connu, celui du repli identitair­e. Il va à l’opposé du message du pape qui, lui, en appelle à la solidarité avec les réfugiés.

Comme Alan Kurdi en 2015, des enfants vont mourir aux frontières de l’Europe. Ce continent n’est-il plus capable ne serait-ce que d’envisager de tendre la main? La barbarie est-elle devenue la seule réponse à la barbarie?

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