L’Europe solidaire, l’Europe barbare
Cette semaine, les plus hautes autorités de l’Union européenne se sont rendues en Grèce pour afficher leur soutien à Athènes. Bruxelles a promis 700 millions d’euros, cent gardes-frontières supplémentaires, un navire, deux patrouilleurs, deux hélicoptères et un avion. Les Grecs pourront mieux sécuriser leurs frontières face à un nouvel afflux de migrants, pour la plupart syriens. «Ceux qui cherchent à tester l’unité de l’Europe seront déçus. Nous resterons fermes et notre unité l’emportera», a expliqué Ursula von der Leyen, présidente de la Commission, au poste-frontière de Kastanies où les candidats à l’asile sont refoulés par des gaz lacrymogènes. Charles Michel, président du Conseil, a ajouté que la protection des frontières devait se faire de façon «proportionnelle en respectant les droits de l’homme» alors que les images de policiers grecs en mer perçant les pneumatiques des migrants étaient relayées par les télévisions. Voilà pour la solidarité.
C’est ainsi qu’on mesure le chemin parcouru depuis cinq ans et la dernière vague migratoire alimentée par le conflit syrien. A l’époque, la Commission européenne tablait déjà sur une meilleure protection des frontières pour répondre aux attentes légitimes de la Grèce et de l’Italie, en première ligne des flux migratoires. Elle bataillait dans le même temps pour imposer un plan d’accueil et de répartition des réfugiés au nom du droit international. Quelques pays jouèrent le jeu, quelques-uns prirent leur quota de mauvaise grâce et beaucoup d’autres refusèrent ce «diktat» européen. Face à cette indécision, Angela Merkel prit finalement une décision historique, sans plus de concertation, en ouvrant temporairement ses frontières à un million de réfugiés du Proche-Orient. Ce geste, courageux et nécessaire, s’est payé dans les urnes (avec l’essor spectaculaire de l’extrême droite) et dans l’Union, la plupart des pays européens accusant Berlin d’être irresponsable. C’est sous l’impulsion de cette même chancelière allemande que l’UE, traumatisée par une série d’attentats «islamistes», négocia par la suite avec Ankara un accord qui contenta les Etats tout en affligeant les tenants du droit: en échange de milliards d’euros, la Turquie gérerait sur son territoire les réfugiés syriens. Un donnant-donnant dont personne n’était fier, mais qui avait le mérite de faire gagner du temps.
Le temps a passé et l’histoire se répète. Et l’Europe de 2020 semble encore plus faible qu’en 2015, quand l’austérité avait plongé le continent dans une crise existentielle. Face à El-Assad le chimique, Poutine le revanchard, Erdogan l’islamiste, Netanyahou le colonisateur, Trump le menteur et Xi le conquérant, les Etats européens (dont la Suisse) et l’UE semblent naviguer à vue. Ebranlée par le Brexit, l’Europe tente de sauver son union en jouant la carte de la sécurité. La sécurité économique, environnementale, militaire, des frontières. C’est l’Europe protectrice, à défaut d’être mobilisatrice. L’ancien équilibre que cherchait à défendre la Commission Juncker, entre maîtrise des frontières et devoir d’accueil, a simplement disparu. Sans faire de bruit.
Aujourd’hui, c’est l’Europe décomplexée de Kurz, voisin d’Orban, qui s’impose. Avec l’idée des nations d’abord, l’Union se limitant à un marché commun et des frontières extérieures solidement défendues par un «bouclier».
Comme ses collègues de l’Est, le chancelier autrichien évoque volontiers les valeurs chrétiennes et leur défense pour convaincre de la légitimité de ce projet. Un refrain bien connu, celui du repli identitaire. Il va à l’opposé du message du pape qui, lui, en appelle à la solidarité avec les réfugiés.
Comme Alan Kurdi en 2015, des enfants vont mourir aux frontières de l’Europe. Ce continent n’est-il plus capable ne serait-ce que d’envisager de tendre la main? La barbarie est-elle devenue la seule réponse à la barbarie?
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