Le calvaire du PDC
«Le centre, en politique, n’est jamais plus large que le fil d’un couteau.» L’ancien ministre et conseiller national François Lachat a toujours eu le sens de la formule. D’abord pour analyser les défaites de son parti, le PDC. Dimanche, la perte du deuxième siège démocrate-chrétien au gouvernement jurassien au profit de la gauche a provoqué un petit séisme politique. A l’image de ce qui s’est passé l’automne dernier dans le canton de Fribourg où le PDC n’est pas parvenu à conserver son siège au Conseil des Etats. Deux défaites dans les anciens bastions que l’on croyait hier encore imprenables. Et cela, au moment où, face à l’érosion de son électorat, le PDC suisse s’interroge sur son identité et sur la pertinence de son appellation de «chrétien».
Pilier de la création du canton du Jura, il y a quarante ans, longtemps majoritaire incontesté, le PDC jurassien a certes payé cher les divisions internes et les rancoeurs que nourrissent quelques anciens caciques et mêmes ex-ministres. Mais ses dirigeants auraient tort de s’arrêter à cette analyse paresseuse et trop commode. Le canton du Jura n’échappe pas aux grands courants qui traversent les sociétés, suisse et européenne. Une profonde transformation de la population jurassienne, d’une part, et la fracture ou, pour reprendre l’expression du professeur Gilbert Casasus, «l’implosion de la classe moyenne», d’autre part. Troisième raison: ce que l’on appelle dans le jargon contemporain la perte du narratif. Comme la social-démocratie européenne, la démocratie chrétienne ne parvient plus à articuler un discours adapté à la société actuelle.
Quelques décennies après Fribourg, le canton du Jura a vu sa composition sociale complètement transformée. Certes, son paysage de petites localités reste identitaire, mais sa population diffère de moins en moins de celles des grandes agglomérations. Rurbain, disent les géographes, ni rural ni urbain. Un tiers des personnes occupées ont suivi une formation tertiaire, souvent dans les universités de Neuchâtel, Fribourg ou Lausanne. Les emplois du tertiaire (56%) ont progressé de 10% ces dix dernières années. Ouvert sur Bâle relié par l’autoroute, le Jura n’est plus ce canton rural cloisonné. Les plus diplômés ont trouvé d’autres inspirations dans l’écologie, la défense du climat, le combat pour l’égalité, où la gauche s’est montrée à la pointe. Quand ils ne sont pas attirés par de nouveaux horizons ou simplement par le bien-être. Quant à «l’implosion de la classe moyenne», elle se mesure par le vote UDC d’une population qui se sent abandonnée et frustrée face à la main-d’oeuvre frontalière, notamment dans des localités périphériques.
Mais surtout, le contexte a changé. Le credo démocrate-chrétien reposait sur l’idée d’un individu ayant des droits inaliénables et d’un être social qui ne se réalise que dans la communauté partagée avec d’autres hommes dotés d’une conscience. Il est devenu inaudible. Le temps n’est plus aux partis dont le discours et l’identité reposent d’abord sur des valeurs et une vision idéalisée. Dans le Jura, le PDC qui était porteur d’un projet, la souveraineté d’un peuple jurassien solidaire et ouvert au monde, n’a pas trouvé un nouveau narratif dans la société des individus. Pas plus d’ailleurs que ses coreligionnaires en Suisse ou en Europe. La démocratie chrétienne est victime de la libération des individus à laquelle elle a largement contribué. En cela, le Jura ne se distingue plus du reste de la
Suisse.
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