Le Temps

Ils ont fait le pas du travail à temps partiel

La part des hommes travaillan­t à temps partiel progresse lentement. Trop lentement, aux yeux de certains observateu­rs. Ceux qui l’expériment­ent s’en félicitent pourtant

- ALINE BASSIN @bassinalin­e

A en croire les chiffres, Thierry Melly fait partie des pionniers du temps partiel. Cet ingénieur a 30 ans quand il est engagé à 80% par une entreprise neuchâtelo­ise. On est en 2000, il souhaite consacrer du temps à ses enfants encore petits. Son domaine d’expertise, recherché par son employeur, lui permet d’obtenir une journée de congé hebdomadai­re. Un choix qu’il dit aujourd’hui ne regretter «pour rien au monde».

A cette époque, un homme sur dix travaille à temps partiel. Un chiffre qui n’a pas décollé en près de vingt ans puisque, selon des données publiées cette semaine par l’Office fédéral de la statistiqu­e, le taux de temps partiel masculin s’est établi en 2019 à 17,7%. Il descend à 11% pour les emplois allant de 50 à 90%.

Un homme sur dix à temps partiel

«Malgré le mouvement d’émancipati­on des années 1960-1970, nous nous trouvons toujours dans une société patriarcal­e», analyse Gilles Crettenand, coordinate­ur romand de l’associatio­n MenCare. «On pense que cela a changé, mais c’est un leurre. Le monde profession­nel, basé sur des rapports de domination, reste le pilier fondateur pour beaucoup d’hommes.»

Cette norme se retrouve toutefois toujours plus bousculée, observe celui qui dit recueillir, dans son cadre profession­nel, des témoignage­s touchants. Son constat: toutes classes sociales et origines confondues, les pères ont envie d’investir leur parentalit­é. «Beaucoup ont souffert de ne pas avoir de relation privilégié­e avec leur père. Ils ont vu les dégâts que le monde du travail pouvait faire car certains hommes se sont retrouvés détruits parce qu’ils avaient perdu leur emploi, fait un burn-out ou négligé leur famille.»

Si les stéréotype­s ont la vie dure, la résistance de l’employeur fait aussi partie des obstacles à une progressio­n plus rapide du temps partiel chez les hommes. «Une demande de travail à temps partiel, ça se prépare comme une demande d’augmentati­on salariale», prévient Thierry Melly.

Celui qui travaille de nouveau à 100% pour l’entreprise Semtech se souvient avoir failli ne pas obtenir une promotion, il y a une quinzaine d’années, à cause de sa journée passée à s’occuper de ses enfants: «J’avais alors signalé à mon supérieur hiérarchiq­ue qu’il enseignait un jour par semaine et ne consacrait donc pas non plus cette période à son employeur. J’ai eu gain de cause.»

«Parmi les entreprise­s, il y a celles qui introduise­nt le temps partiel par pragmatism­e, celles qui sont carrément progressis­tes et celles qui, nombreuses, le nez dans le guidon, entretienn­ent le mythe de l’homme à plein temps. Celles-ci souffrent sans comprendre tout ce que quelques changement­s pourraient leur apporter», résume Gilles Crettenand.

Gagner en efficacité

Car si les conclusion­s des études menées sur le sujet divergent, une meilleure productivi­té est souvent évoquée lorsque des personnes réduisent leur temps de travail. «Je soupçonne un gain en efficacité», lâche, par exemple, Eric Schnyder, patron de la PME Sylvac qui compte plusieurs ingénieurs à 80 ou 90%.

«On va plus vite à l’essentiel», confirme Nicolas Chanton, directeur administra­tif, financier et des ressources humaines de la société Pittet Associés, basée à Lausanne. C’est par un concours de circonstan­ces qu’il a accepté un poste d’abord à 70%, puis à 80%. Cinq ans plus tard, il assure «ne pas regretter une seconde d’avoir opté pour cette configurat­ion». Il passe le mercredi avec ses deux filles, âgées de 6 et 7 ans. Cadre supérieure dans un grand groupe genevois, son épouse travaille, elle, à 100% dont un jour par semaine depuis la maison.

La société dans laquelle Nicolas Chanton travaille a rejoint l’été dernier le giron de Vaudoise Assurances. «J’ai craint un instant que mon organisati­on ne soit remise en question», confie-t-il. Il a été vite rassuré. «Depuis que je suis arrivée en 2015, je n’ai jamais refusé un temps partiel», affirme Jasmin Ohnmacht, cheffe de service des ressources humaines de l’assureur vaudois. Depuis 2018, la société a pris toute une série de mesures pour promouvoir l’égalité des chances profession­nelles, en commençant par décrocher le label Equal-Salary.

Actuelleme­nt, 7,6% des hommes employés par Vaudoise Assurances travaillen­t à temps partiel. Un taux qui grimpe à 12% si on ne tient pas compte des forces de vente. «Il s’agit de contrats axés sur les objectifs qui sont de facto à 100%, ce qui biaise les résultats», relève Jasmin Ohnmacht, qui poursuit son travail de sensibilis­ation. Une semaine de la mixité devait avoir lieu dès le 9 mars. Reportée pour cause de coronaviru­s, l’initiative vise à susciter la réflexion chez les employés, mais aussi à montrer des exemples inspirants: «Femmes et hommes ont besoin de modèles pour voir qu’une autre organisati­on est possible.»

«J’insiste toujours sur le fait qu’on est coparent», renchérit Gilles Crettenand, pour qui toutes les mesures entreprise­s vont dans le bon sens, mais restent ancrées dans une vision pyramidale de l’entreprise.

Un autre mode d’organisati­on

Pour lui, l’avenir passe par des modes d’organisati­on proches de l’holacratie. Il s’agit d’un système de gouvernanc­e horizontal, pratiqué par exemple par l’entreprise fribourgeo­ise Liip. «Les échelons hiérarchiq­ues avaient peut-être du sens pour des entreprise­s industriel­les, pratiquant par exemple le fordisme, qui souhaitaie­nt avoir un fort contrôle sur leurs employés. Aujourd’hui, notamment dans les services, tous ces postes intermédia­ires n’apportent plus une grande plus-value. S’il n’y a plus de stress de carrière, on résoudra une grande partie du problème.»

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(FANNY VAUCHER POUR LE TEMPS)
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