«C’ÉTAIT COMME SI UN FILM DÉFILAIT DEVANT MES YEUX»
Sonia Molinari écrit comme elle respire ou presque. Son sens du récit et des personnages imprègne «Ne pas laisser le temps à la nuit», son premier roman. Depuis Neuchâtel où elle vit, elle nous en raconte la genèse
◗ Le thriller, comme tous les genres, est très codifié. Sonia Molinari les respecte (il y a du suspense, de l’action, plusieurs mystères, un complot, une traque tout autour de la planète). L’autrice sait aussi apporter sa patte, une façon très sûre, très visuelle, de traduire les émotions, les corps, les atmosphères, les lieux. Au point que Ne pas laisser le temps à la
nuit ne ressemble pas à un premier roman. Et que l’on suit les aventures vertigineuses de Maiko, la jeune héroïne, d’avion en avion, de Hongkong à Bruxelles, en passant par Alta, en Norvège, à la poursuite de son père, un scientifique qui a brutalement disparu alors qu’elle était adolescente. Elle a répondu à nos questions depuis Neuchâtel où elle vit.
Comment est né ce premier livre? Je n’avais pas du tout l’intention d’écrire un livre. Il est venu malgré moi. Je suis danseuse de flamenco et je devais me rendre régulièrement à Zurich pour suivre des cours. Pour occuper les heures de train, je me suis acheté des cahiers pour noter les idées de chorégraphies. Mais dès le premier voyage, face à mon carnet et au paysage qui défilait, c’est le personnage de Maiko qui a surgi, avec tout son univers. C’était très particulier comme expérience.
C’est-à-dire? C’était comme si un film défilait devant mes yeux et que j’écrivais ce que je voyais. J’entendais les voix, je voyais les corps. Je ne savais pas où cela allait me mener. Je n’avais pas de but à part saisir ce qui m’était offert. Rapidement, j’ai rempli un premier cahier.
Vous écrivez à la main? Oui, l’inspiration vient de cette façon. Toutes les deux semaines, je me réjouissais de prendre le train pour connaître la suite. Il m’est même arrivé d’être tellement prise par l’histoire qu’une fois à Zurich, je ne suis pas allée au flamenco et que je me suis assise sur un banc pour continuer à écrire. J’ai pris le dernier train pour rentrer chez moi.
Maiko est hôtesse de l’air, un métier que vous avez pratiqué. Est-ce qu’elle vous
ressemble? J’étais hôtesse chez Swissair quand il y a eu le crash de Halifax. J’ai perdu des collègues qui étaient devenus des amis. Le trauma a déclenché chez moi une peur panique de la nuit. J’ai dû arrêter de voler alors que c’était le métier que je voulais faire depuis l’enfance. Je passais des nuits entières, les mâchoires serrées, à attendre l’arrivée du jour. Je me sentais comme un enfant qui a peur du noir. Je me disais: «Si j’étais mon propre enfant, qu’est-ce que je ferais? Je me raconterais un conte pour dédramatiser.»
J’ai alors imaginé une petite fille, seule sur sa planète, un peu comme le Petit Prince, qui court à perdre haleine en suivant la courbe du soleil pour ne jamais se faire attraper par la nuit. Et puis Maiko a surgi et du coup, je n’ai pas écrit un conte pour enfants.
Combien de temps a duré l’écriture du
roman? Une année de trajets en train. Mes enfants étaient petits, je ne pouvais pas écrire en dehors de ces moments. Après une pause de deux, trois ans, j’ai repris, à fond, début 2018.
Quels livres, quels films vous ont nourrie? Je n’ai pas fait d’études, je n’ai pas lu les classiques. J’aime les scénarios avant tout, être surprise. Enfant, j’aimais la bande dessinée Yoko
Tsuno, à cause justement de ces atmosphères de laboratoires cachés. Ces personnages de femmes fortes, vibrantes, qui ne baissent pas les bras, me parlent beaucoup. Je suis plus cinéma que séries, elles me lassent vite. Je regarde énormément de films, Miyazaki, Scorsese, David Fincher. Pour Maiko, Hidden Whisper de la Taïwanaise Vivian Chang m’a sans doute inspirée.
Vous avez un deuxième livre en tête?
De nouveaux personnages sont apparus, oui. Je me souhaite de continuer à écrire comme je l’ai fait pour le premier. Sans attentes.