DES RUES, UN CIRQUE, TOUT UN MONDE
Certaines couvertures de livres sont particulièrement riches de promesses et de sens. C’est le cas de deux albums aux mots rares, aux images éloquentes
◗ Perdu dans la ville ne s’appréhende pas en une lecture superficielle. Son atmosphère, sa douce mélancolie, la couverture déjà nous les soufflait, qui montre un enfant dans un bus, la nuit tombe et un jeu de reflets brouille l’intérieur et l’extérieur, on devine d’autres passagers, on voit des immeubles, des phares de voitures, on est dans la solitude d’une mégapole et il fait froid.
«Je sais ce que c’est, de se sentir perdu dans une grande ville.» Ces mots viennent après quatre pages de silence. Ils viennent lorsque l’enfant descend du bus et commence sa marche que Sydney Smith, en champion du trait et de la mise en scène, raconte en multipliant les perspectives: pleines pages, double page quadrillée en séquences, et des vues qu’on pourrait penser répétitives – mais on comprend vite que tout, dans ces images puissantes, fait sens.
Car le lecteur observe comme le fait l’enfant dont les quelques mots sont des conseils, des astuces, comment se réchauffer, trouver à manger, inventer un refuge: «Les ruelles offrent parfois des raccourcis. Mais ne prends pas celle-ci. Elle est trop sombre.» Cette «cartographie du coeur» (faut-il le dévoiler?) s’adresse à son chat, égaré, et ce glissement empathique donne lieu à une magnifique déambulation dans des lieux que la neige recouvre peu à peu.
DES ÉTOILES DANS LES YEUX
L’image de couverture de Regarde, Papa montre deux ours marchant en ville. L’un est petit, juché sur les épaules de l’autre; l’enfant-ours a le nez en l’air, le papaours garde les yeux baissés sur son téléphone. C’est ainsi qu’ils se rendent au cirque. Et tandis que l’enfant observe tout, s’émerveille, profite de chaque occasion pour s’amuser ou s’exercer, ses exploits (et ses imprudences) échappent complètement à son père, absorbé par les messages et autres sollicitations électroniques.
Pas de manichéisme ni de caricature dans cette histoire d’Eva Montanari délicatement illustrée au crayon et dont le texte se résume à des onomatopées et quelques paroles échangées: l’adulte mis en scène est juste un papa terriblement contemporain qui, dès que son enfant se trouve en danger (ou plus exactement dès qu’il s’en rend compte!) s’élance à son secours.
Les dessins montrent tout ce que l’adulte ne voit pas, un monde enchanteur que le petit croque à pleines dents et auquel, les pages finales le laissent espérer, il initiera bientôt le grand.