QUAND LE NIL RECRACHE DES TÊTES COUPÉES
Parker Bilal entraîne son privé Makana dans le milieu des réfugiés soudanais du Caire et dans une clinique pour très riches
◗ Parker Bilal – alias Jamal Mahjoub – revient avec un nouveau polar égyptien que l’on dévore avec autant de délice que les précédents. Bien sûr, l’intrigue de La Cité des chacals est macabre. Evidemment les puissants y sont minables et les forces de l’ordre plus que critiquables. Mais il y a chez cet auteur anglo-soudanais – qui vit aujourd’hui à Amsterdam – un tel bonheur d’écriture qu’il rend supportables même les descriptions les plus sordides. Comme si, nous tapotant l’épaule, il nous rappelait dans un clin d’oeil amical: oui, oui c’est peut-être arrivé, mais n’oubliez pas que nous sommes dans une fiction, voire dans une fable.
La Cité des chacals, cinquième polar de Parker Bilal, reste fidèle à l’esprit des précédents dans sa générosité et sa liberté. On y retrouve son enquêteur fétiche, le privé Makana, ex-policier soudanais réfugié au Caire pour sauver sa peau. Grand fumeur de cigarettes Cleopatra, l’homme vit toujours sur son awama, une péniche décatie amarrée sur le Nil et qui, avec l’hiver, lui paraît «aussi sordide et humide qu’une épave engloutie». Makana a toutefois le sentiment qu’il commence à se faire vieux: il supporte de moins en moins cette précarité.
FRONT SCARIFIÉ
Son curieux lieu de résidence lui permet toutefois d’être aux premières loges quand un pêcheur remonte une tête coupée dans ses filets. Si l’on en croit les scarifications qui marquent le front de la victime, il s’agirait d’un Soudanais du Sud. Un des réfugiés qui campent devant la mosquée Mustapha Mahmoud pour attirer l’attention sur leur triste sort et réclamer des droits? La police a tôt fait de se désintéresser de l’affaire. Touché par ce destin qui fait écho à sa propre histoire, Makana cherche à en savoir plus et tombe, sans s’y attendre, sur les sinistres agissements d’une clinique pour riches, pour très riches.
En parallèle, et avec le même engagement, il poursuit une autre enquête, «officielle» celle-ci: Hossam Hafiz, le propriétaire du respectable restaurant italien Les Jardins de Verdi, l’a chargé de retrouver son fils Mourad, un jeune étudiant de 22 ans qui a mystérieusement disparu.
Vous imaginez que les deux affaires sont liées? Et vous n’avez pas tort. Avant de nous livrer le fin mot de l’histoire, Parker Bilal nous offre toutefois, comme à son habitude, de très belles atmosphères, des descriptions lyriques de la ville qui «semblait exhaler un profond soupir de soulagement quand il pleuvait» ainsi que quelques passages plus épiques lorsque Makana se retrouve, dans l’obscurité, à combattre une véritable armée de rats affamés.
Affamé, notre enquêteur l’est aussi parfois. On le retrouve donc attablé avec quelques amis fidèles chez Aswani – une vieille connaissance du lecteur de Parker Bilal – devant d’énormes plateaux de riz, de viandes rôties et de légumes grillés, sans oublier l’une des fameuses spécialités du chef, «à la pâte suffisamment fine pour vêtir une jeune mariée lors de sa nuit de noces, fourrée d’un succulent mélange de viande de caille et d’abricots secs».