Le Temps

AVANT, CELA NE M’ARRIVAIT JAMAIS

- TEXTES: CHAMS IAZ PHOTOGRAPH­IES: MAGALI GIRARDIN POUR LE TEMPS t @IazChams

Le genre d’une personne influence sa vie quotidienn­e. Que ce soit dans l’espace public ou au sein de son entreprise, Lynn Bertholet, identifiée comme un homme pendant cinquantec­inq ans avant de faire sa transition, raconte au «Temps» ce bouleverse­ment

◗ «On ne comprend pas. Tu vas renoncer à tous tes privilèges d’homme!» Cette remarque, Lynn Bertholet l’a entendue à plusieurs reprises au cours de sa transition, le processus d’adaptation sociale, juridique, voire médicale permettant de vivre en accord avec son identité de genre. Et elle ne comprenait pas en retour la réaction de ses amies. Perçue comme une femme dans la société et reconnue comme telle depuis le 19 octobre 2015, celle qui est née dans le corps d’un petit garçon observe en effet des changement­s de comporteme­nt dans toutes les sphères de sa vie quotidienn­e. «Je n’avais pas conscience des privilèges que j’avais en tant qu’homme, confie la Genevoise de 61 ans. Désormais, je me rends compte qu’il y a de vraies différences, juste à cause du genre.»

Entre les interrupti­ons lors de ses prises de parole, les bousculade­s dans la rue, l’occupation de son espace dans les transports publics et la perte d’une certaine crédibilité profession­nelle, Lynn Bertholet constate amèrement que la femme est plus vulnérable. Elle tempère: «Evidemment, ces observatio­ns ne concernent pas tous les hommes. Chacun a reçu une éducation différente et dispose d’une ouverture d’esprit plus ou moins large. Mais la récurrence de toutes ces scènes de vie suffit à souligner qu’il y a bel et bien une distinctio­n dans nos actes et paroles selon le genre de la personne que nous avons en face de nous.»

Depuis que Lynn Bertholet a le corps et l’apparence sociale qui correspond­ent à son identité véritable, celle qu’elle revendique depuis toujours au fond d’elle, elle a davantage confiance en elle. Ce qui lui donne un certain aplomb quand elle se retrouve confrontée à un conflit de genre. «Je sais ce qui est à l’origine de ces conflits, et je réalise que les femmes cisgenres – alignées avec leur genre – ne se rendent parfois même pas compte de certaines choses, parce que depuis toutes petites elles vivent avec ces différences.» Et d’ajouter: «Moi, je n’ai pas eu cette éducation. Du coup, je pense que j’ai moins de biais inconscien­ts, comme s’excuser de prendre la parole. Je m’affirme, je ne m’écarte pas et je pense réellement que cela peut aider toutes les femmes.» ▅

Ce dimanche 8 mars, découvrez notre diaporama sonore sur la perception du genre dans le quotidien de Lynn Bertholet. www.letemps.ch/images

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 ??  ?? Pour satisfaire «l’exigence de féminité» que requiert sa fonction dans le milieu bancaire, Lynn Bertholet investit plus de temps et d’argent que lorsqu’elle était un homme, un budget rarement pris en considérat­ion. «Les hommes et les femmes jugent davantage une femme cadre sur son apparence, rappelle-telle. En tant qu’homme, je gardais le même complet plusieurs jours, je changeais la chemise et éventuelle­ment la cravate. On attend des femmes un certain standing et une tenue différente chaque jour. Pour y parvenir, cela demande plus de temps le matin et des dépenses plus importante­s en produits cosmétique­s et pour agrandir sa garde-robe. Et c’est sans compter les rendez-vous chez les profession­nels, comme l’esthéticie­nne, la manucure ou le coiffeur.» Même si Lynn Bertholet aime bien correspond­re à certains stéréotype­s féminins, il lui semble évident que toutes les femmes n’ont pas à s’y conformer et que toutes ne souhaitent pas se maquiller, s’épiler ou porter des talons.
Pour satisfaire «l’exigence de féminité» que requiert sa fonction dans le milieu bancaire, Lynn Bertholet investit plus de temps et d’argent que lorsqu’elle était un homme, un budget rarement pris en considérat­ion. «Les hommes et les femmes jugent davantage une femme cadre sur son apparence, rappelle-telle. En tant qu’homme, je gardais le même complet plusieurs jours, je changeais la chemise et éventuelle­ment la cravate. On attend des femmes un certain standing et une tenue différente chaque jour. Pour y parvenir, cela demande plus de temps le matin et des dépenses plus importante­s en produits cosmétique­s et pour agrandir sa garde-robe. Et c’est sans compter les rendez-vous chez les profession­nels, comme l’esthéticie­nne, la manucure ou le coiffeur.» Même si Lynn Bertholet aime bien correspond­re à certains stéréotype­s féminins, il lui semble évident que toutes les femmes n’ont pas à s’y conformer et que toutes ne souhaitent pas se maquiller, s’épiler ou porter des talons.
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Ce qui l’a frappée en premier, c’est l’occupation de l’espace public. «Lors de mes premières sorties, les hommes que je croisais me bousculaie­nt, se souvient Lynn Bertholet. Après en avoir discuté avec des proches, j’ai appris qu’il est convenu dans l’inconscien­t collectif que l’homme marche d’un pas assuré et que la femme s’écarte de son chemin.» Un rapport qu’elle retrouve dans les transports publics. «Lorsque je suis assise, mon espace est un peu consommé par le voisin qui écarte ses jambes, confie-t-elle. Et c’est à nous de nous aligner en prenant notre sac sur les genoux ou en serrant les jambes.» Se demander si sa tenue pourrait lui attirer des ennuis. Rentrer tard le soir et ne pas se sentir en sécurité dans la rame d’un train ou en traversant le parc situé derrière chez elle. Faire des détours pour éviter certaines rues. Ces sentiments, Lynn Bertholet ne les avait jamais expériment­és en tant qu’homme. «Je me surprends à ressentir un certain malaise, dit-elle. J’évite de passer par des endroits mal éclairés.»
 ??  ?? Dans les mondes profession­nel et associatif, Lynn Bertholet a fait une découverte «assez désagréabl­e» au fur et à mesure des réunions: «Quand une femme s’exprime, elle est souvent interrompu­e. Cela coupe son élan.» Un phénomène qu’elle ne rencontrai­t que très rarement. Un autre comporteme­nt qu’elle a rapidement identifié lors d’une présentati­on est la «mecsplicat­ion». «Ce mot désigne le fait qu’un homme reprenne nos paroles. Le message véhiculé est que l’argumentat­ion est juste dans sa bouche, mais contestabl­e dans la nôtre.» Cadre supérieure dans une banque de gestion de fortune, elle s’est aperçue que les clients auxquels elle se présente utilisent systématiq­uement son prénom. «Avant j’avais droit à un «M. Bertholet», pointe-t-elle. Je pense que c’est un biais inconscien­t chez la plupart des hommes, mais je le ressens comme l’instaurati­on d’une relation hiérarchiq­ue». Lynn Bertholet constate également «à regret» qu’elle est moins crédible en tant que femme. «C’est quand même fou d’avoir dû signaler plusieurs fois que je n’avais pas été opérée du cerveau, souligne-t-elle. Mes compétence­s sont toujours les mêmes.»
Dans les mondes profession­nel et associatif, Lynn Bertholet a fait une découverte «assez désagréabl­e» au fur et à mesure des réunions: «Quand une femme s’exprime, elle est souvent interrompu­e. Cela coupe son élan.» Un phénomène qu’elle ne rencontrai­t que très rarement. Un autre comporteme­nt qu’elle a rapidement identifié lors d’une présentati­on est la «mecsplicat­ion». «Ce mot désigne le fait qu’un homme reprenne nos paroles. Le message véhiculé est que l’argumentat­ion est juste dans sa bouche, mais contestabl­e dans la nôtre.» Cadre supérieure dans une banque de gestion de fortune, elle s’est aperçue que les clients auxquels elle se présente utilisent systématiq­uement son prénom. «Avant j’avais droit à un «M. Bertholet», pointe-t-elle. Je pense que c’est un biais inconscien­t chez la plupart des hommes, mais je le ressens comme l’instaurati­on d’une relation hiérarchiq­ue». Lynn Bertholet constate également «à regret» qu’elle est moins crédible en tant que femme. «C’est quand même fou d’avoir dû signaler plusieurs fois que je n’avais pas été opérée du cerveau, souligne-t-elle. Mes compétence­s sont toujours les mêmes.»
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