Le Temps

La prévoyance a besoin d’une «Greta»

La baisse des taux d’intérêt, renforcée par les effets économique­s du coronaviru­s, pourrait inciter à mettre fin au système des trois piliers. Laurent Schlaefli, directeur de la fondation Profond, présente une nouvelle piste

- EMMANUEL GARESSUS, ZURICH @garessus

Pour que le deuxième pilier soit préservé, réformé et ses atouts mieux utilisés, il faudrait une «Greta de la prévoyance», déclare au Te m p s Laurent Schlaefli, directeur de Profond, une fondation collective indépendan­te avec plus de 57000 assurés.

Le système de prévoyance profession­nelle est mis à rude épreuve par la baisse continue des taux d’intérêt. «Il ne sert à rien de s’en plaindre. Mieux vaudrait l’accepter comme un fait. Les bas taux d’intérêt sont devenus la nouvelle normalité. Mieux vaut savoir comment s’y adapter», déclare au site économique Cash.ch Thomas Straubhaar, professeur d’économie à Hambourg.

Mais la baisse des taux d’intérêt, qui s’est accentuée avec les craintes de ralentisse­ment économique lié au coronaviru­s, renforcera la pression à la baisse du taux technique, soit le taux qui sert à déterminer le rendement nécessaire pour financer les prestation­s futures d’une caisse de pension. Ce taux est le point d’ancrage du système de prévoyance. C’est de lui, par exemple, que dépend le taux de conversion. «La tendance du taux technique reste à la baisse. Si la tendance se maintient à long terme, la situation risque de devenir difficile», indique Quentin Costa, actuaire auprès de PPCmetrics, à Nyon.

Vers une refonte du système?

L’augmentati­on des tensions, qui accompagne­rait donc une détériorat­ion du taux technique, pourrait conduire à une refonte du système et à une répartitio­n sur deux piliers, selon Laurent Schlaefli. Un taux technique de 0 à 1% mène forcément, à son avis, à une vaste transforma­tion à long terme du système de retraites.

Les réformes peinent à se mettre en place au niveau politique. Il faudrait une «Greta de la prévoyance». Mais quelles formes prendrait une refonte du système? Selon le directeur de Profond, un premier pilier pourrait être destiné à la répartitio­n, selon le modèle de l’AVS, et un autre à la capitalisa­tion à travers un système de prévoyance individuel­le, semblable au troisième pilier privé. «Les résistance­s des milieux du deuxième pilier seraient naturellem­ent très fortes, celui-ci ayant en effet prouvé son utilité», ajoute ce dernier.

Ce changement modifierai­t les allocation­s de portefeuil­le. L’incitation à privilégie­r les actions est de plus en plus forte avec la baisse des taux. Laurent Schlaefli constate ainsi que si l’individu veut épargner à long terme, il n’investit pas en obligation­s mais en actions. «Les obligation­s ne sont pas une protection en cas de baisse des marchés boursiers, mais un risque en cas de hausse des taux d’intérêt», déclare-t-il.

Les souhaits de l’assuré ainsi que sa propension au risque ne sont donc pas correcteme­nt représenté­s si sa caisse de pension investit une grande partie de ses avoirs de vieillesse en obligation­s. D’ailleurs, après une année boursière 2019 qui aura vu les actions suisses gagner 30%, il ne peut vraisembla­blement pas être satisfait avec une rémunérati­on de 1 ou 2%.

Profond, dont environ 50% des actifs sous gestion (9,1 milliards de francs) sont placés en actions et 30% en immobilier, a offert une rémunérati­on de 3,5% aux assurés pour l’exercice 2019, grâce notamment aux dividendes et aux loyers perçus, tous deux constants quel que soit l’environnem­ent économique. Comme le rendement des placements s’est élevé à 13,5%, 10% ont été destinés au renforceme­nt des réserves. Au cours de cinq des sept dernières années, la prestation annuelle aux assurés a atteint 3,5%.

Les acteurs du deuxième pilier ne restent pas immobiles. Dans le contexte des taux techniques bas, de plus en plus de caisses de pension autonomes recherchen­t une porte de sortie et tentent de rejoindre les rangs des fondations collective­s telles que Profond, selon Laurent Schlaefli. Mais, souvent, les institutio­ns autonomes souffrent d’une part d’assurés très âgés. «Nous ne les acceptons que si la structure d’âge apporte une valeur ajoutée à notre fondation et que le financemen­t est assuré», révèle Laurent Schlaefli. La moyenne d’âge des assurés actifs est ainsi de 43 ans auprès de Profond.

Un bilan solide

Les bourses ont corrigé. Mais les caisses de pension ne modifient guère leur politique de placement. «Notre horizon d’investisse­ment est à long terme, soit sur 60 ans environ», indique Laurent Schlaefli. Des turbulence­s comme ces derniers jours n’ont «aucune incidence sur notre stratégie d’investisse­ment, que ce soit en termes d’allocation­s des ressources, d’investisse­ments ou de désinvesti­ssements, ceci notamment car, au niveau des actions, nous ne procédons pas à du market timing» (stratégie qui consiste à prédire les mouvements des marchés). «Ce qui est important pour nous, c’est de pouvoir financer nos obligation­s à long terme. L’évolution de la bourse (positive ou négative) n’a qu’un faible impact sur le cash-flow», conclut-il.

DIRECTEUR

DE LA FONDATION PROFOND

«Les obligation­s ne sont pas une protection en cas de baisse des marchés boursiers, mais un risque en cas de hausse des taux d’intérêt»

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(DR) Les réformes du système suisse de prévoyance peinent à se mettre en place au niveau politique. Il faudrait une «Greta de la prévoyance» pour faire avancer les dossiers, selon Laurent Schlaefli, directeur de la fondation Profond.
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LAURENT SCHLAEFLI

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