La prévoyance a besoin d’une «Greta»
La baisse des taux d’intérêt, renforcée par les effets économiques du coronavirus, pourrait inciter à mettre fin au système des trois piliers. Laurent Schlaefli, directeur de la fondation Profond, présente une nouvelle piste
Pour que le deuxième pilier soit préservé, réformé et ses atouts mieux utilisés, il faudrait une «Greta de la prévoyance», déclare au Te m p s Laurent Schlaefli, directeur de Profond, une fondation collective indépendante avec plus de 57000 assurés.
Le système de prévoyance professionnelle est mis à rude épreuve par la baisse continue des taux d’intérêt. «Il ne sert à rien de s’en plaindre. Mieux vaudrait l’accepter comme un fait. Les bas taux d’intérêt sont devenus la nouvelle normalité. Mieux vaut savoir comment s’y adapter», déclare au site économique Cash.ch Thomas Straubhaar, professeur d’économie à Hambourg.
Mais la baisse des taux d’intérêt, qui s’est accentuée avec les craintes de ralentissement économique lié au coronavirus, renforcera la pression à la baisse du taux technique, soit le taux qui sert à déterminer le rendement nécessaire pour financer les prestations futures d’une caisse de pension. Ce taux est le point d’ancrage du système de prévoyance. C’est de lui, par exemple, que dépend le taux de conversion. «La tendance du taux technique reste à la baisse. Si la tendance se maintient à long terme, la situation risque de devenir difficile», indique Quentin Costa, actuaire auprès de PPCmetrics, à Nyon.
Vers une refonte du système?
L’augmentation des tensions, qui accompagnerait donc une détérioration du taux technique, pourrait conduire à une refonte du système et à une répartition sur deux piliers, selon Laurent Schlaefli. Un taux technique de 0 à 1% mène forcément, à son avis, à une vaste transformation à long terme du système de retraites.
Les réformes peinent à se mettre en place au niveau politique. Il faudrait une «Greta de la prévoyance». Mais quelles formes prendrait une refonte du système? Selon le directeur de Profond, un premier pilier pourrait être destiné à la répartition, selon le modèle de l’AVS, et un autre à la capitalisation à travers un système de prévoyance individuelle, semblable au troisième pilier privé. «Les résistances des milieux du deuxième pilier seraient naturellement très fortes, celui-ci ayant en effet prouvé son utilité», ajoute ce dernier.
Ce changement modifierait les allocations de portefeuille. L’incitation à privilégier les actions est de plus en plus forte avec la baisse des taux. Laurent Schlaefli constate ainsi que si l’individu veut épargner à long terme, il n’investit pas en obligations mais en actions. «Les obligations ne sont pas une protection en cas de baisse des marchés boursiers, mais un risque en cas de hausse des taux d’intérêt», déclare-t-il.
Les souhaits de l’assuré ainsi que sa propension au risque ne sont donc pas correctement représentés si sa caisse de pension investit une grande partie de ses avoirs de vieillesse en obligations. D’ailleurs, après une année boursière 2019 qui aura vu les actions suisses gagner 30%, il ne peut vraisemblablement pas être satisfait avec une rémunération de 1 ou 2%.
Profond, dont environ 50% des actifs sous gestion (9,1 milliards de francs) sont placés en actions et 30% en immobilier, a offert une rémunération de 3,5% aux assurés pour l’exercice 2019, grâce notamment aux dividendes et aux loyers perçus, tous deux constants quel que soit l’environnement économique. Comme le rendement des placements s’est élevé à 13,5%, 10% ont été destinés au renforcement des réserves. Au cours de cinq des sept dernières années, la prestation annuelle aux assurés a atteint 3,5%.
Les acteurs du deuxième pilier ne restent pas immobiles. Dans le contexte des taux techniques bas, de plus en plus de caisses de pension autonomes recherchent une porte de sortie et tentent de rejoindre les rangs des fondations collectives telles que Profond, selon Laurent Schlaefli. Mais, souvent, les institutions autonomes souffrent d’une part d’assurés très âgés. «Nous ne les acceptons que si la structure d’âge apporte une valeur ajoutée à notre fondation et que le financement est assuré», révèle Laurent Schlaefli. La moyenne d’âge des assurés actifs est ainsi de 43 ans auprès de Profond.
Un bilan solide
Les bourses ont corrigé. Mais les caisses de pension ne modifient guère leur politique de placement. «Notre horizon d’investissement est à long terme, soit sur 60 ans environ», indique Laurent Schlaefli. Des turbulences comme ces derniers jours n’ont «aucune incidence sur notre stratégie d’investissement, que ce soit en termes d’allocations des ressources, d’investissements ou de désinvestissements, ceci notamment car, au niveau des actions, nous ne procédons pas à du market timing» (stratégie qui consiste à prédire les mouvements des marchés). «Ce qui est important pour nous, c’est de pouvoir financer nos obligations à long terme. L’évolution de la bourse (positive ou négative) n’a qu’un faible impact sur le cash-flow», conclut-il.
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DIRECTEUR
DE LA FONDATION PROFOND
«Les obligations ne sont pas une protection en cas de baisse des marchés boursiers, mais un risque en cas de hausse des taux d’intérêt»