Le Temps

Prophéties d’après-crise

- MARIE-HÉLÈNE MIAUTON mh.miauton@bluewin.ch

Nul ne sait d’où est vraiment venu le virus: d’un pangolin, d’un laboratoir­e de recherche virologiqu­e à Wuhan, d’une chauve-souris… Nul ne sait comment le juguler: confinemen­t, dépistage, chloroquin­e, immunisati­on… Nul ne sait quand la pandémie finira: partie d’Asie, elle est passée au Moyen-Orient, puis à l’Europe, aux USA, à l’Amérique latine et à l’Afrique bientôt. Mais une chose est sûre, sûre et certaine, tout le monde est d’accord, c’est que rien ne sera plus comme avant!

Ainsi, les écologiste­s se félicitent que la folle mobilité d’autrefois soit définitive­ment enterrée. Les anticapita­listes affirment que ce système tant honni est enfin mort. Les ennemis de la mondialisa­tion prédisent que les échanges internatio­naux ont vécu, et les délocalisa­tions avec. Les protection­nistes prophétise­nt que les frontières seront durablemen­t rétablies, et les souveraini­stes que les Etats retrouvero­nt leurs prérogativ­es. Les europhiles estiment que l’Union sortira renforcée de la crise, les europhobes qu’elle éclatera au contraire… Tous ceux qui trouvent que le monde va mal et rêvent de révolution la devinent à nos portes, prenant leurs désirs pour des réalités. Ce que les voies complexes de la politique ne leur ont pas permis d’obtenir serait ainsi à portée de main au gré d’une pandémie désorganis­atrice et salutaire.

Quelle erreur! Au lieu de marteler des prévisions que chacun espère auto-réalisatri­ces, il serait plus utile de se préparer à redresser une situation qui promet d’être difficile à court et moyen terme. Car il est tout aussi possible, voire probable, que le retour à la normale soit l’occasion d’ajustement­s mais pas de changement­s profonds. Sans doute les entreprise­s chercheron­t à mieux assurer leur approvisio­nnement, sans doute les systèmes de santé se réorganise­ront utilement, sans doute les Etats réfléchiro­nt à une certaine indépendan­ce pour les produits stratégiqu­es… Mais, tout cela ne représente pas un changement de paradigme économique ou sociétal. D’ailleurs, après les grandes pandémies antérieure­s, le monde n’a pas changé du tout au tout. Chacun a pansé ses plaies, le choc a fini par être absorbé et tout a continué sur la lancée antérieure. On peut le déplorer, mais c’est ainsi.

Pour preuve, après le krach de 2008, qui a secoué le monde avec des conséquenc­es financière­s et sociales, tout est revenu à la normale, disent les Anglo-Saxons. Bien sûr les banques sont mieux capitalisé­es qu’autrefois, elles se méfient des produits pourris, se renseignen­t sur leurs clients, dépensent un argent fou pour la compliance. Mais en réalité, on ne voit pas que le système financier mondial soit radicaleme­nt différent. Plus concentré et plus sûr sans doute, on s’y est employé.

A ce sujet, il est intéressan­t de constater que les Etats ont imposé aux grandes banques des tests de résistance, stress tests en anglais, pour évaluer leur capacité à absorber un événement important, un choc majeur. Malheureus­ement, ils n’ont pas envisagé de s’y soumettre eux-mêmes. Dommage car, l’eussent-ils fait qu’on n’en serait pas là aujourd’hui! Les hôpitaux publics en auraient eu bien besoin également, pour savoir s’ils étaient prêts à affronter une épidémie comme celle que nous vivons. Mais il est toujours plus facile d’imposer aux autres ce à quoi on répugne de se plier soi-même. La paille et la poutre, en quelque sorte.

Et encore, en Suisse, il semble que cela ne fonctionne encore pas si mal jusqu’ici, mais certains de nos voisins sont vraiment à la peine. Leurs finances publiques auraient, elles aussi, bien eu besoin d’une recapitali­sation. Les promesses de milliards des Etats pour soutenir l’économie vont bon train, alors qu’ils sont endettés jusqu’au cou. Ce sont donc des milliards virtuels, dont l’encre n’est pas encore sèche. La Suisse a un avantage sur ses voisins: les milliards promis, elle les a! Cela lui permettra sans doute de s’en sortir mieux. Une prime à la vertu, en quelque sorte, qui sera peut-être décisive au sortir de la crise.

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