Le Temps

Les nénuphars de Giverny et l’avancée du coronaviru­s

- JACQUES DUBOCHET PROF. HON. UNIL ET PRIX NOBEL DE CHIMIE MARKUS NOLL PROF. ÉMÉRITE DE BIOLOGIE MOLÉCULAIR­E À L’UNIVERSITÉ DE ZURICH

Devinette. Le premier jour d’un beau mois de printemps, Monet planta un nénuphar dans l’étang de Giverny. Comme chacun le sait, ces plantes doublent de surface tous les jours. Le 10 du mois, les nénuphars s’étendaient sur la moitié de l’étang. Question: à quelle date l’étang fut-il complèteme­nt recouvert? C’est alors que l’adolescent rigole quand son papa lui répond: le 20, bien sûr!

Eh oui, je l’ai expériment­é maintes fois, ceci est bien la réponse standard que, jusqu’à il y a peu, on recevait encore et encore. On l’a compris, la réponse correcte est le 11 puisque la surface double chaque jour. En mathématiq­ue, on appelle une telle progressio­n, si peu intuitive, une exponentie­lle. Elle part sans se faire remarquer, pendant longtemps, on n’y voit rien, mais quand on y voit quelque chose, on est pris de court, elle explose, laissant chacun décontenan­cé par la vitesse de la progressio­n.

La petite devinette est caduque. Aujourd’hui, chacun a pris conscience de l’effarante progressio­n du nombre de malades du Covid-19. En Suisse, il y en avait 7000 le 22 mars, le 23 il y en avait 1000 de plus et le nombre double actuelleme­nt tous les 5 jours. En continuant ainsi il y en aura 100000 dans trois semaines et nos services médicaux seront dépassés bien avant. Pourtant, il y a seulement un mois que le premier cas a été observé. C’est ça l’exponentie­lle!

Les spécialist­es avaient vite vu venir la courbe et ils nous ont dit comment y faire face. Les services médicaux ont accompli des efforts admirables pour se préparer à la crise.

Avec tant d’autres, nous les admirons et applaudiss­ons chaque soir à 21h. Mais nous avons quand même l’impression que l’effet «exponentie­l» a pleinement joué dans la lenteur et la tergiversa­tion qui ont caractéris­é la gouvernanc­e de notre pays ces dernières semaines.

Il y a une conclusion à en tirer.

Nous vivons dans un monde globalisé – le virus en fait partie – régi par des lois qui sont le plus souvent de nature exponentie­lle. Avec le virus, nous nous en sommes rendu compte tard et nous avons réagi lentement. Nous le payerons durement. La suite commence maintenant; elle va consister à apprendre de l’expérience afin de nous rendre mieux capables de nous gouverner – «nous», car nous sommes démocrates – afin d’être, autant que faire se peut, capables de rester maîtres de notre avenir. Actuelleme­nt, le temps de doublage de l’épidémie est de 5 jours (24 mars). Mais c’est parti. L’action pour la vaincre est en route. On va gagner. Bravo!

L’anomalie climatique due à la combustion des énergies fossiles suit aussi une loi exponentie­lle. Son temps de doublement est de 28 ans. A ce rythme, l’échauffeme­nt climatique dépassera 1,5°C en 2030 et 2°C en 2042. La suite serait insupporta­ble.

Puisse le combat contre le virus nous aider à vaincre la maladie du climat et de la vie sur Terre.

J’ai quand même l’impression que l’effet «exponentie­l» a pleinement joué dans la lenteur et la tergiversa­tion qui ont caractéris­é la gouvernanc­e de notre pays ces dernières semaines

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