Le Temps

Claire Berset, une policière face aux incivilité­s du coronaviru­s

La crise sanitaire et le confinemen­t ont bouleversé le quotidien des forces de l’ordre. Une sous-officière genevoise raconte

- CHRISTIAN LECOMTE t @chrislecdz­5

«On perçoit un salaire pour un métier qui n’est pas sans risque, et c’est toute l’année. Cette période est exceptionn­elle, mais on a signé aussi pour ça»

Le Bout-du-Monde à Carouge (GE), vaste espace vert consacré au sport et au farniente. L’accès est désormais interdit au public, car certains ont continué à y jouer au football (à onze) et à y allumer des barbecues, malgré les mesures restrictiv­es liées au coronaviru­s.

En patrouille ce matin-là avec un collègue stagiaire, la caporale Claire Berset observe un homme et ses trois enfants qui tapent dans un ballon dans le périmètre entouré de rubans. Elle signifie à l’adulte qu’il doit partir. Réponse du contrevena­nt qui, apprendrat-elle plus tard, est avocat: «Vous n’avez rien d’autre à foutre? Occupez-vous des voyous!»

Claire Berset confie: «J’ai fait une pesée d’intérêts, je ne voulais pas choquer ses enfants. Je l’aurais emmené au poste s’il n’avait pas été avec eux. Je l’ai juste amendé pour refus de circuler, mais ça se passera différemme­nt en cas de récidive.» L’homme est resté sur la pelouse et a souhaité une «mauvaise journée» aux deux policiers. Depuis presque trois semaines, elle reçoit souvent ce genre d’invectives.

«La loi l’impose»

«Il est vrai que les gens ne font pas de mal, ils s’amusent, se promènent et on les verbalise pour ça; mais nous n’avons pas le choix, c’est la situation et la loi qui l’imposent.» Elle n’y était pas préparée, tout comme ses 30 collègues du poste de Carouge. «Quand je suis devenue policière, j’imaginais que je serais peut-être un jour confrontée à quelque chose de difficile, le terrorisme par exemple, mais jamais je n’aurais imaginé qu’une crise sanitaire allait ainsi bousculer notre quotidien», raconte-t-elle.

Les horaires ont changé. Elle pratique le 4-2 (quatre jours de travail, deux de congé), a des astreintes de nuit, patrouille avec les collègues de police secours bien au-delà de Carouge, jusqu’à la place de Plainpalai­s et en périphérie, à Lancy ou à Onex. Les interventi­ons, elles aussi, diffèrent. Baisse spectacula­ire des cambriolag­es, des accidents sur la voie publique, des rixes ou des bagarres à la sortie des boîtes. Ceux qu’elle appelle «les vilains du secteur», dont elle connaît les antécédent­s, sont très discrets depuis quelque temps.

Mais elle observe une augmentati­on importante des appels depuis le domicile. Pour des conflits familiaux ou de voisinage, en lien surtout avec le bruit. «Le confinemen­t n’arrange rien, les gens sont très tendus. Il ne faudrait pas que ça dure trop longtemps», insiste-t-elle. Et de poursuivre: «Les jeunes se croient invincible­s et ils continuent à faire la fête le soir dans les préaux des écoles. Il y a aussi les nombreux appels pour nous dire que tel commerce est ouvert en dépit de l’interdicti­on ou que, dans la rue, des personnes bavardent et qu’elles sont plus de cinq.»

Claire Berset est la maman de jumelles âgées de 3 ans. «Quand je rentre, je dépose mes vêtements dans la machine à laver et je me douche longuement. J’ai moins de crainte pour mes filles que leur mamie au pair, qui a 60 ans. On fait très attention.» Elle n’a pas vu ses parents depuis quinze jours: «Ils sont soucieux mais ce n’est pas nouveau; ils sont inquiets toute l’année.» Son mari, cadre dans la police genevoise, est lui aussi souvent absent.

Policier, métier de contact, comment ne pas risquer l’infection? A la fin du mois de mars, 8,2% des 2089 collaborat­eurs de la police genevoise étaient malades (moitié moins en mars 2019). Le port du masque est autorisé pour eux, y compris sur la voie publique. Monica Bonfanti, qui les dirige, a estimé que c’était à l’appréciati­on des agents. «Je m’en remets à votre sens des responsabi­lités», a indiqué la commandant­e, qui a admis qu’«un sentiment de protection peut ponctuelle­ment guider le choix du policier».

Claire le met rarement. Sauf lors d’une audition de prévenu dans un espace réduit. Elle rechigne aussi à porter les gants en latex, qui ne sont pas adaptés pour saisir une arme et tirer. Pas pratiques non plus pour contrôler des documents d’identité. «En fait, on travaille comme d’habitude, si besoin on va au contact, on continue à menotter des gens», lâche-t-elle.

«Protéger et servir»

Au moindre symptôme, la consigne est de rester à la maison pendant dix jours et d’appeler le médecin. Claire Berset explique: «Nous avons une devise: protéger et servir. On perçoit un salaire pour cela. Ce n’est pas sans risque, et c’est toute l’année. Cette période est exceptionn­elle, mais on a signé aussi pour ça.»

Enfant, elle était hyperactiv­e, sportive et voulait sauver le monde. A 23 ans, c’est la révélation, lors d’une rencontre avec un policier: ce sera son métier. Une année à l’école de police de Genève, dix-huit mois de stage, autant à police secours, une année à la brigade de sécurité publique, deux ans à la brigade des chiens puis enfin Carouge. Elle se souvient, à ses débuts en 2008, d’un supérieur hiérarchiq­ue lui intimant cet ordre avant une opération: «T’es une gonzesse, tu restes dans la voiture!»

Elle juge que le sexisme est aujourd’hui moindre. Claire Berset, femme au caractère très affirmé, est respectée. Elle est caporale, pourrait un jour accéder au grade de «sergent» et diriger un groupe de policiers. «Une policière dans une patrouille est un atout, car la mixité permet de mettre en avant des sensibilit­és différente­s et complément­aires.»

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