Et s’il y avait un modèle vaudois?
Tous les couloirs du Bâtiment administratif de la Pontaise (BAP) à Lausanne ne sont pas plongés dans un profond sommeil, l’aile gauche du deuxième étage bruit calmement d’une activité concentrée. Les noms sur les portes des bureaux ne correspondent plus, ou pas toujours, à ceux qui les occupent désormais, car depuis le mois de février les locaux ont été réaffectés, coronavirus oblige. Mais quelque urgente et importante que soit leur tâche, les nouveaux occupants, une cinquantaine de personnes qui animent la cellule de gestion sanitaire du coronavirus, gardent le sourire malgré les cernes. L’atmosphère est presque sereine, à l’image du médecin cantonal, Karim Boubaker, qui passe d’un interlocuteur à l’autre, d’un pas souple et agile, sans se départir de sa bonhomie.
Une mobilisation qui paie
Mais qu’on ne s’y trompe pas: ici, on ne compte pas ses heures, on fait le travail obstinément, même le week-end, avec un seul but, contribuer à une stratégie commune pour endiguer l’épidémie et atténuer ses conséquences sur les plus vulnérables. Cette mobilisation a payé, car bien qu’il soit avec 3639 cas confirmés et 92 décès le canton le plus touché en suisse avec le Tessin, Vaud montre par ailleurs des courbes prometteuses, «encore hésitantes, certainement à confirmer, mais déjà porteuses d’espoirs», commente Karim Boubaker.
Mais surtout, malgré le nombre important de patients testés positifs au Covid-19, le canton garde paradoxalement une marge importante en termes de lits hospitaliers disponibles, y compris en réanimation.
«Avant que ne soient prises les mesures de confinement, nous avons été l’un des premiers cantons exposés à l’épidémie par deux canaux différents, d’un côté par l’Italie du Nord, de l’autre par le biais d’une réunion d’évangélistes organisée à Mulhouse et à partir de laquelle de nombreux résidents vaudois ont été infectés. Nous sommes donc objectivement très concernés par l’épidémie. Cela dit, nous avons aussi effectué beaucoup de tests de dépistage dans la première phase de l’épidémie en Suisse, ce qui fait apparaître plus de cas», analyse le médecin cantonal.
«L’hôpital n’est plus au centre»
Mais avant l’apparition des premiers cas, une task force avait déjà été constituée, sur un modèle horizontal ignorant les hiérarchies habituelles et privilégiant la mutualisation des savoirs et des compétences, poursuit-il: «Cette cellule de gestion sanitaire s’inscrit dans la continuité de ce que nous avions mis en place. Un système très proche des réalités de terrain, qui a été voulu par des soignants. Tous ceux qui y participent sont des experts dans leur domaine et cette somme d’expertises prend toute sa mesure dans la crise que nous traversons.»
Comme pour donner une preuve par l’exemple de cette fluidité ou pour jouer une partition à quatre mains, son adjoint, Eric Masserey, prend le relais de la démonstration: «Le système qui prévaut ici est doublement décentralisé. D’abord, le canton est divisé en quatre régions. Ensuite, toutes les capacités de la chaîne sanitaire sont mutualisées, que ce soit l’ambulatoire, les soins à domicile, les EMS ou les hôpitaux. Il s’agit d’un changement de perspective, car l’hôpital n’est plus au centre du dispositif Covid-19, mais il en est l’une des pièces. Ainsi, nous ne cherchons pas à hospitaliser systématiquement les malades. On choisit, au contraire, la prise en charge la mieux adaptée et la plus humaine.»
En matière de tests, et alors que des voix appellent à un dépistage tous azimuts, le canton garde une stratégie centrée sur l’intérêt du patient. Au moment de l’apparition du virus, il était important d’effectuer des tests pour des raisons épidémiologiques mais, aujourd’hui, continue le médecin cantonal, «nous testons les personnes à risques qui présentent des symptômes du Covid-19 et les personnes en contact avec les malades, car le diagnostic nous permet d’orienter la prise en charge médicale. En revanche, il n’y a pas de sens à dépister de manière générale les populations asymptomatiques, d’abord parce qu’il n’est pas possible de le faire, et qu’en plus, il faudrait reconduire le test le lendemain, car il faut plusieurs jours avant que la maladie puisse être détectée. Tester constitue un geste médical. Nous ne pouvons pas mobiliser le personnel médical pour rassurer les bien portants, alors qu’il y a urgence à soigner les malades.»
Personne ne fanfaronne au BAP, malgré les signes positifs. Les mêmes mots reviennent d’un bureau à l’autre le long du couloir: «Nous sommes les chevilles ouvrières invisibles, personne ne nous applaudira, mais nous ne cherchons pas la lumière des projecteurs. Notre vraie récompense sera la fin de l’épidémie.»
Prudence affichée
Karim Boubaker ne veut pas encore évoquer l’issue, il a la prudence pour seconde nature: «La levée du confinement sera une décision politique au niveau national. Pour l’instant, au niveau cantonal, la ministre de la Santé Rebecca Ruiz nous fait confiance, elle nous a aussi écoutés et soutenus. Ce que nous réalisons est le fruit d’un effort collectif: le Département de l’économie nous aide et cherche des solutions pour ceux qui seront les plus affectés, les personnes en charge de la sécurité sont aussi indispensables. Mais, sur le plan médical, la levée intégrale des mesures de confinement le 19 avril pourrait nous mettre en grande difficulté.»
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