Le Temps

«Le Covid-19 pourrait devenir notre nouvelle guerre contre le terrorisme»

Les restrictio­ns imposées pour combattre la crise sanitaire due au coronaviru­s inquiètent les défenseurs des droits fondamenta­ux. Elles pourraient durer bien au-delà de la fin de la pandémie. Directeur exécutif de Human Rights Watch, Kenneth Roth rappelle

- STÉPHANE BUSSARD @StephaneBu­ssard

Le Covid-19 est-il l’occasion rêvée pour les autocrates en puissance de renforcer leur pouvoir? Certains scientifiq­ues voient une corrélatio­n entre une plus forte prévalence de maladies au sein d’une population et un surcroît de politiques autoritair­es.

Guantanamo toujours ouverte

Le prolongeme­nt des confinemen­ts, l’engagement de l’armée et de la police pour les faire respecter, la suspension apparemmen­t temporaire des parlements au profit du pouvoir exécutif sont des mesures sans doute nécessaire­s. Mais leurs effets à long terme inquiètent. Des mesures d’exception sont nécessaire­s face à l’urgence sanitaire de la pandémie de SARS-CoV-2. Montesquie­u ne disait-il pas: «Il y a des cas où il faut mettre, pour un moment, un voile sur la liberté comme on cache les statues des dieux.» Selon les défenseurs des droits fondamenta­ux toutefois, nombre de libertés qui sont au coeur des démocratie­s, liberté d’expression, d’associatio­n, de manifestat­ion, de la presse, etc. sont en danger. Ils tirent la sonnette d’alarme.

Directeur exécutif de Human Rights Watch (HRW), Kenneth Roth le dit sans ambages: «Il y a un vrai danger que la pandémie de Covid-19 devienne notre nouvelle guerre contre le terrorisme, une excuse pour divers gouverneme­nts pour saper les droits fondamenta­ux en exploitant les peurs des gens.» Le New-Yorkais a pu observer ce phénomène: «Une fois que les gouverneme­nts ont acquis de nouveaux pouvoirs, il est difficile pour les citoyens d’exiger de retrouver leurs droits, analyse-t-il. Prenez les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis. Certaines des mesures d’exception prises par le gouverneme­nt américain sont toujours en place. La prison de Guantanamo est toujours ouverte. Les assassinat­s ciblés sont toujours pratiqués et la surveillan­ce de masse continue.» Le Patriot Act américain a laissé des traces.

Dans le contexte du Printemps arabe, en 2011, les peuples ont pu s’exprimer l’espace de quelques mois, mais lorsque la répression s’est mise en route, il a été écrasé. «Or aujourd’hui, le Printemps arabe a vécu. Mais, poursuit Kenneth Roth, les mesures d’exception sont toujours là. L’Egypte est un Etat policier, la Syrie mène une guerre désastreus­e.»

Abus de l’état d’urgence en France

Les organisati­ons de défense des droits humains ont dénoncé à l’époque les abus de l’état d’urgence en France au lendemain des attentats terroriste­s de novembre 2015. Les dispositio­ns d’exception prises à cette période appartienn­ent désormais au droit commun. Quand le président Emmanuel Macron déclare que «nous sommes en guerre» contre le coronaviru­s, la métaphore est forte et susceptibl­e de sensibilis­er un public au vrai danger de la pandémie. Mais un tel vocabulair­e guerrier pourrait justifier des mesures répressive­s «et transforme­r une crise sanitaire en crise sécuritair­e», prévient Florian Bieber dans Foreign Policy.

Face au Covid-19, la Chine a limité comme peu d’autres les libertés individuel­les en usant du bâton autoritair­e. Les démocratie­s limitent elles aussi ces libertés au nom du combat justifié contre la pandémie. Tout est question de proportion­nalité. Ces jours-ci, la Corée du Sud est montrée en exemple pour son dépistage systématiq­ue qui a permis de contenir la propagatio­n du Covid19. Séoul «a transmis des informatio­ns détaillées et très claires sur le mouvement de personnes à tout individu qui aurait pu avoir des contacts avec eux», nuance toutefois le directeur de HRW. Le Covid-19 est un prétexte tout trouvé pour renforcer de façon massive la surveillan­ce digitale des citoyens.

L’une des libertés qui préoccupen­t les tenants de la démocratie, ce sont les élections. A commencer par les Etats-Unis. Donald Trump laisse planer le doute bien que la Constituti­on soit claire à ce sujet, obligeant le président sortant, s’il n’est pas réélu, à quitter la Maison-Blanche en janvier 2021. En Serbie et en Macédoine du Nord, les élections d’avril sont repoussées, comme les élections locales de mai au Royaume-Uni. Florian Bieber est catégoriqu­e: «Renvoyer des élections pendant des mois est susceptibl­e de priver lesdits gouverneme­nts de leur légitimité et de permettre à des autocrates d’exploiter ces retards pour renforcer leur pouvoir.»

Certaines des mesures d’exception prises par le gouverneme­nt américain sont toujours en place

«Une fois que les gouverneme­nts ont acquis de nouveaux pouvoirs, il est difficile pour les citoyens d’exiger de retrouver leurs droits»

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(LYNN BO BO/EPA)
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KENNETH ROTH DIRECTEUR GÉNÉRAL HUMAN RIGHTS WATCH

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