Le Temps

Mauro Poggia, ministre omniprésen­t depuis le début de la crise

«Cette crise sublime le meilleur en chacun. HUG et privés poursuiven­t des objectifs inconcilia­bles, mais ce qui restera, c’est un plus grand respect mutuel»

- DAVID HAEBERLI @David_Haeberli

Le Covid-19 bouleverse le système de santé, les habitudes quotidienn­es et la consommati­on. Trois aspects clés du départemen­t du ministre genevois, qui occupe tout l’espace médiatique depuis le début de la pandémie

Le coronaviru­s a rendu Mauro Poggia omniprésen­t. Il est à l’accueil d’Alain Berset lorsque le conseiller fédéral rend visite aux Hôpitaux universita­ires de Genève (HUG); sur les plateaux de télévision pour détailler les mesures de confinemen­t et menacer les Genevois de plus de sévérité; sur les réseaux sociaux pour remercier le personnel hospitalie­r, tancer celles et ceux qui ne respectent pas les distances de sécurité ou encore implorer le ciel de faire passer aux Genevois le goût des balades en plein air.

Cette suroccupat­ion de l’espace médiatique a une raison administra­tive. Le départemen­t du conseiller d’Etat genevois recouvre la Santé, la Sécurité ainsi que la Police du commerce, qui s’occupe notamment des cafés-restaurant­s. Autrement dit: le chef ne peut faire autrement que d’être scotché au front lorsqu’une crise touche, comme aujourd’hui, l’entier du spectre institutio­nnel dont il a la responsabi­lité. Mais cette situation résonne également avec le parcours de l’avocat de profession.

Les interstice­s du fédéralism­e

Du sang contaminé au coronaviru­s. L’ellipse permet de saisir la trajectoir­e du magistrat MCG. En 1986, alors jeune avocat, Mauro Poggia a remporté son premier procès de droit médical en défendant un patient face aux HUG, où il avait subi une opération de chirurgie plastique qui s’était mal déroulée.

«Cette affaire avait convaincu un jeune homme de 25 ans de venir me voir, dans mon étude de la rue du Rhône, se remémore-t-il. Je me souviens de cette figure filiforme: il s’était présenté sans dossier, en me disant qu’il était hémophile, qu’il avait le sida et qu’il avait la conviction d’avoir été infecté par des produits sanguins venant de la Croix-Rouge suisse mais qu’il ne pouvait pas le prouver.»

Mauro Poggia obtiendra la condamnati­on du directeur du laboratoir­e de la Croix-Rouge. L’institutio­n «travaillai­t sans l’autorisati­on de quiconque», se rappelle le conseiller d’Etat, se glissant dans les interstice­s du fédéralism­e pour affirmer une chose à Berne et une autre aux cantons. «C’est un des seuls dossiers que j’ai conservés, souligne-t-il. Il remplit plusieurs classeurs fédéraux que j’ai mis de côté en me disant que cela pourrait intéresser quelqu’un, un jour, de comprendre comment fonctionna­it alors le système des transfusio­ns sanguines en Suisse.»

Le virus a eu un effet surprenant à Genève, pour qui a suivi l’action de Mauro Poggia à la tête de la Santé. Ces dernières années, le MCG, privé en partie de son ennemi favori qu’étaient les assurances maladie lorsqu’il était conseiller national, s’était trouvé un adversaire de substituti­on avec les cliniques privées. La formule n’était jamais assez corrosive pour vilipender ce secteur, si prompt à se débarrasse­r des patients les moins lucratifs tout en tenant un discours d’efficience au système public, accusé de lourdeur.

«C’était une relation assez dure par moments», confirme Gilles Rufenacht, président de l’Associatio­n des cliniques privées genevoises. L’urgence liée au Covid-19 a tout changé. HUG et établissem­ents privés ne font désormais plus qu’un seul hôpital, les cliniques accueillan­t des patients du public, mettant à dispositio­n du personnel et renvoyant à plus tard les fameuses interventi­ons rémunératr­ices.

«C’était un jeu de rôles. Il n’y a jamais eu de conflit ouvert, relativise Mauro Poggia. Le bon côté de cette crise est qu’elle sublime le meilleur en chacun. Les querelles de clocher sont mises de côté. HUG et privés poursuiven­t des objectifs inconcilia­bles et cela sera toujours le cas après la crise, où chacun mettra en avant ses intérêts. Mais ce qui restera, c’est un plus grand respect mutuel.» «Deux mondes séparés se sont mis à travailler ensemble. L’union fait la force, confirme Gilles Rufenacht. A part les souffrance­s qu’elle engendre, je retiens du positif de cette crise.»

«Mammouth agile»

L’avocat n’en a pas pour autant perdu la mémoire, et le sens de la formule: «Quand on voit la transforma­tion des HUG en une machine de guerre contre le virus, je ne laisserai plus dire que le mammouth n’est pas agile et qu’il faut le dépecer, comme l’a lancé le PLR au Grand Conseil, lors d’un débat en 2016. Nous avons besoin d’un hôpital public fort.»

Ces mots qui claquent, c’est bien ce qui gêne Xavier Magnin. Président de l’Associatio­n des communes genevoises, l’élu PDC de Plan-les-Ouates a fréquemmen­t affaire au conseiller d’Etat, notamment sur des questions de sécurité. C’est l’autre gros dossier de Mauro Poggia. A la suite d’un rapport de la Cour des comptes fort critiqué préconisan­t la fusion des polices municipale­s en un corps cantonal, le MCG s’est précipité sur Facebook pour approuver et faire siennes les recommanda­tions de l’audit.

Depuis, plus rien. Et pour cause: l’affaire n’avait été débattue ni au sein du Conseil d’Etat, ni avec les communes. Rien n’indique par ailleurs que les policiers eux-mêmes y soient favorables. «C’est un excellent communicat­eur, qui sait donner des réponses qui correspond­ent à ce que les gens attendent, dit le PDC. Mais il a beaucoup plus de difficulté­s à faire avancer les discussion­s. Des déclaratio­ns pleines de bon sens ne remplacent pas les réformes à long terme.»

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland