Le Temps

Déconfinem­ent: le compte à rebours

L’économie exige du Conseil fédéral un plan qui lui offre des perspectiv­es de reprise de ses activités. Le gouverneme­nt devra se livrer à une délicate pesée d’intérêts entre la santé publique et les enjeux économique­s

- MICHEL GUILLAUME ET YAN PAUCHARD @mfguillaum­e @YanPauchar­d

La courbe des patients admis aux soins intensifs se stabilise. Après trois semaines de confinemen­t, la sortie de crise est dans les esprits

■ Le Conseil fédéral, qui a décrété l’état d’urgence jusqu’au 19 avril, doit décider cette semaine s’il entend prolonger cette situation spéciale

■ Les milieux économique­s intensifie­nt la pression sur le gouverneme­nt. Petra Gössi, présidente du PLR, demande une réouvertur­e rapide des commerces

■ Les hôpitaux lancent des tests pour déterminer le pourcentag­e de la population contaminée. Une informatio­n cruciale pour entrevoir un déconfinem­ent

Depuis trois semaines désormais, la Suisse est plongée dans un confinemen­t partiel. Le Conseil fédéral, qui a décrété le droit d’urgence jusqu’au 19 avril prochain, doit en principe trancher cette semaine s’il entend prolonger cette situation qui pénalise fortement l’économie. A l’heure où la courbe des nouveaux cas de coronaviru­s a tendance à s’aplanir, les milieux économique­s font monter la pression sur le gouverneme­nt.

Personne ne s’attend à ce que le Conseil fédéral change radicaleme­nt de ligne après Pâques. «Le pic de l’épidémie n’est pas encore atteint», a répété ce samedi Daniel Koch, le chef de la division des maladies transmissi­bles à l’Office fédéral de la santé publique (OFSP). La Suisse déplore désormais plus de 600 décès et le nombre de cas continue de progresser, mais la courbe s’est infléchie. C’est déjà une bonne nouvelle, car cela permet aux hôpitaux de ne pas être débordés.

Ces premiers signaux positifs font frémir l’économie, à vrai dire surtout en Suisse alémanique. En Suisse romande, où trois cantons (GE, VD et VS) font partie des cinq les plus touchés par le coronaviru­s, l’Union patronale suisse (UPS) et les chambres de commerce ont tenu une conférence téléphoniq­ue ce vendredi 3 avril. Les avis sont unanimes sur un point capital: la primauté de la santé publique. Ce samedi, le Secrétaria­t d’Etat à l’économie et l’OFSP ont confirmé avoir procédé à un échange de vues, mais sans en dire plus.

L’expérience chinoise de Magdalena Martullo-Blocher

Outre-Sarine, des voix commencent à réclamer une stratégie de sortie de crise. L’associatio­n faîtière Economiesu­isse reste pourtant prudente. «Le fait que le Conseil fédéral ait annoncé plancher sur une reprise des activités économique­s est un signal très important, même si la santé sur le lieu de travail reste une priorité absolue», déclare sa directrice, Monika Rühl. En revanche, Magdalena Martullo-Blocher, CEO d’Ems-Chemie, se montre beaucoup moins nuancée. La vice-présidente de l’UDC, par ailleurs membre du comité élargi d’Economiesu­isse, estime que «la population non menacée doit être autorisée à reprendre le travail».

Dans un éditorial publié ce vendredi sur le site de l’UDC, la politicien­ne s’exprime en patronne d’entreprise et appelle la Suisse à suivre l’exemple de la Chine, où Ems-Chemie a rouvert ses cinq usines. «Là-bas, la reprise de certaines branches économique­s est un succès, car elle s’accompagne de strictes mesures d’hygiène, comme l’obligation de porter un masque», note-t-elle.

Cette offensive de l’UDC a fait voler en éclats l’unanimité des partis tous unis au soir du 16 mars pour approuver la décision du Conseil fédéral décrétant le confinemen­t partiel de la population. Le 1er avril, le PLR a lui aussi réclamé un plan de sortie de crise, mais sans fixer de date précise. «Une planificat­ion est nécessaire non seulement pour l’économie, mais aussi pour la population, de manière à l’aider à supporter l’épreuve psychique qu’on lui impose», explique le conseiller national vaudois Olivier Feller.

L’avertissem­ent des syndicats

Pour la gauche en revanche, pas question d’assouplir les ordonnance­s décidées dans l’urgence. C’est prématuré, selon le chef du groupe socialiste, Roger Nordmann: «Il faut attendre d’en savoir plus sur l’évolution du virus. Ce serait remplacer l’incertitud­e par l’erreur que d’abandonner les mesures actuelles.» Même son de cloche chez les syndicats. Vice-président d’Unia, Aldo Ferrari pointe du doigt la dichotomie qu’il observe entre la Suisse du télétravai­l, qui fonctionne, et celle du terrain dans les entreprise­s, où les mesures de sécurité sont «insuffisam­ment appliquées et contrôlées» à ses yeux. «Un redémarrag­e précipité aurait des conséquenc­es pires que l’applicatio­n des mesures actuelles», avertit-il.

Dans les gouverneme­nts cantonaux, les Romands en appellent eux aussi au maintien de l’état d’urgence. «C’est une crise sanitaire et sa sortie doit s’appuyer sur des critères sanitaires, nous ne sommes

«Le pic de l’épidémie n’est pas encore atteint»

DANIEL KOCH, CHEF DE LA DIVISION

DES MALADIES TRANSMISSI­BLES À L’OFSP

pas dans la situation d’envisager le scénario d’un déconfinem­ent, même si je reste optimiste sur le fait qu’il va arriver», estime la présidente du gouverneme­nt vaudois, Nuria Gorrite. «Pour l’instant, notre urgence est de faire respecter les directives de l’OFSP», ajoute Jean-Nat Karakash, chef du Départemen­t neuchâtelo­is de l’économie. A Fribourg, le conseiller d’Etat Jean-Pierre Siggen, président de la Conférence latine des chefs de l’instructio­n publique, acquiesce: «Il ne faut pas relâcher l’effort trop tôt. Mais ce serait un grand soulagemen­t si nous arrivions à reprendre l’école quelques semaines avant l’été.»

Les 8 et 15 avril, le Conseil fédéral tiendra deux séances décisives. L’économie attend de lui une stratégie qui lui offre «une prévisibil­ité». Plus précisémen­t, une reprise des activités par étapes, quitte à prendre des mesures de précaution supplément­aires. «Il est temps de passer d’une chirurgie de guerre à une chirurgie plus fine», résume le directeur de la Fédération des entreprise­s romandes, Blaise Matthey. ▅

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(MARK HENLEY/PANOS PICTURES) Un policier surveille l’applicatio­n des mesures de distanciat­ion sociale dans une artère commerçant­e de Genève.

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