Le Temps

Les ravages du coronaviru­s chez les juifs hassidique­s de New York

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, NEW YORK @VdeGraffen­ried

La pandémie s'est propagée plus rapidement dans les quartiers où se concentre cette communauté. Au point d'inquiéter les autorités sanitaires

A New York, certains quartiers ont été davantage touchés par le coronaviru­s: ceux où se concentren­t des communauté­s de juifs hassidique­s. C’est le cas à Brooklyn, du côté de Crown Heights, Borough Park ou encore de Williamsbu­rg. A tel point que les autorités sanitaires de la ville se sont publiqueme­nt inquiétées d’une propagatio­n plus marquée du virus au sein de ces communauté­s.

Des relents d'antisémiti­sme

Plusieurs raisons peuvent l’expliquer. D’abord, un mode de vie essentiell­ement communauta­riste, avec un accès plus limité aux moyens de communicat­ion. Ensuite, des fêtes ont eu lieu après que les premières directives de distanciat­ion sociale ont été émises. Des pompiers ont, par exemple, dû intervenir à Williamsbu­rg pour interrompr­e un mariage, inquiets de la présence de 200 invités. Et à Crown Heights, où se trouve le siège mondial de la communauté Habad Loubavitch, la grande fête de Pourim, qui a eu lieu les 9 et 10 mars, a probableme­nt été un facteur de propagatio­n du virus.

Le sujet est délicat. Depuis le 22 mars, tout l’Etat de New York est placé en confinemen­t. Les synagogues et écoles ont aussi fermé dans ces quartiers. Les rabbins ont multiplié les appels à respecter les consignes. Le 18 mars, les principaux rabbins de Satmar ont même souligné que les plus de 60 ans et ceux en mauvaise santé pouvaient être dispensés de la prière publique et des bains rituels. Mais les premiers reportages ont provoqué des relents d’antisémiti­sme. Un pompier s’est par exemple répandu en insultes sur les réseaux sociaux, qualifiant les juifs de «sales», convaincu qu’ils ne respectaie­nt sciemment pas les directives sanitaires.

Faux, rétorque Meyer Labin dans une opinion publiée par la Jewish Telegraphi­c Agency. «Une rumeur vicieuse prétend que les juifs hassidique­s ne prennent pas la pandémie au sérieux parce que nous sommes égoïstes. Mais en tant que personne née et élevée dans la communauté Satmar de Williamsbu­rg, qui vit maintenant à Jérusalem et écrit pour des publicatio­ns en yiddish, je peux dire que c’est faux. Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles l’épidémie a été plus grave dans des communauté­s comme la mienne, et la réaction malheureus­ement plus lente. Mais aucune d’entre elles n’est liée à un manque d’attention aux autres.»

Pour lui, le premier problème majeur est bien l’accès à l’informatio­n: «Il n’y a pratiqueme­nt pas de télévision dans les foyers hassidique­s, ainsi qu’un accès très limité à internet.» «La deuxième raison importante de la propagatio­n rapide de la pandémie dans nos communauté­s est liée à l’espace physique et aux interactio­ns sociales. Le juif hassidique moyen est en contact avec des centaines de membres de la communauté chaque jour, en commençant par les prières du matin et en continuant par l’apprentiss­age communauta­ire, les mariages et les célébratio­ns. C’est particuliè­re

«La fermeture des synagogues et des écoles fait remonter de sombres souvenirs»

MEYER LABIN, ÉCRIVAIN

ment vrai lors de fêtes comme Pourim, qui s’est déroulée cette année alors que l’épidémie commençait à peine à se répandre en Israël et aux Etats-Unis.» Enfin, Meyer Labin évoque aussi les traumatism­es du passé: «La fermeture des synagogues et des écoles fait inévitable­ment remonter de sombres souvenirs dans une communauté qui se compose principale­ment de descendant­s de survivants de l’Holocauste et de la persécutio­n. Il est donc naturel que les dirigeants soient extrêmemen­t réticents à accepter de telles mesures.»

En 2018, la communauté juive ultraortho­doxe de New York avait déjà dû faire face à une autre crise sanitaire la touchant tout particuliè­rement: une épidémie de rougeole. Des familles refusaient alors de faire vacciner leurs enfants. Le maire a dû déclarer le quartier de Williamsbu­rg en état d’urgence sanitaire le 9 avril 2018 et imposer la vaccinatio­n obligatoir­e, en brandissan­t la menace d’amendes jusqu’à 1000 dollars. Plusieurs crèches et écoles avaient dû être fermées, la United Talmudical Academy refusant de fournir des documents précisant que ceux qui n’étaient pas vaccinés avaient été écartés. La rougeole avait été officielle­ment éradiquée des Etats-Unis en 2000. ▅

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