La tentative désespérée des partis pour exister
La crise sanitaire met aussi à mal la communication des partis. Alors que tous les regards sont tournés vers les exécutifs, les formations politiques sont inaudibles. Les partis populistes plus encore, car la polémique ne fait pas recette en temps de crise
Au premier abord, voilà un étrange paradoxe. Tout un chacun est suspendu aux lèvres des conseillers fédéraux, des ministres cantonaux ou du brave et désormais célèbre Daniel Koch, de l’OFSP; par contre les propositions des partis apparaissent dérisoires ou franchement incongrues. Est-ce que le coronavirus a rendu la politique inopérante? Peut-on encore faire de la politique, comme à l’accoutumée, sans passer pour un hurluberlu ou un affreux cynique?
C’est précisément ce qui est arrivé à l’UDC cette semaine, avec sa demande au Conseil fédéral de préparer le redémarrage de l’économie au plus vite en prônant le port du masque généralisé. Accusé de privilégier les gros sous au détriment de la santé des Suisses et de rompre l’union sacrée, l’exercice n’a pas été très concluant: «En temps de crise, la polémique devient insignifiante, estime François Cherix, politologue et essayiste vaudois. Cette crise est le Waterloo des populistes, à l’extrême droite comme à l’extrême gauche. On le voit aussi à l’échelle européenne: ces partis sont débranchés.»
Autrement dit, sur le ton de l’humour: «On n’entend plus beaucoup la gauche radicale appeler à détruire les pharmas, dont on espère au contraire qu’elles bossent dur. De même, on n’entend plus les ultras du marché fustiger l’Etat ennemi, qui soudainement se transforme en Etat magicien, investi de tous les pouvoirs.» Pour les partis dont le fonds de commerce repose sur le discrédit des élites, les temps sont durs. Car c’est aux lèvres de celles-ci – médecins, scientifiques, exécutifs – que la population est suspendue.
L’exception syndicale
La droite et la gauche dures souffriraient donc de ce que l’industrie de l’indignation ne fait plus recette. A la notable exception des syndicats, qui, eux, inscrivent leurs combats sur le théâtre des opérations, comme celui de la sécurité sanitaire sur les chantiers. Pourtant, les extrêmes ne s’avouent pas vaincus et s’échinent avec une belle constance. Comme le Parti suisse du travail – Parti ouvrier et populaire (PSTPOP) qui propose, vendredi, une «taxe corona de solidarité» visant à prélever 2% sur les fortunes des millionnaires. Pas sûr que cela déchaîne l’engouement collectif.
Plus modestement, Ensemble à gauche et le MCG ont tenté à Genève d’enflammer le débat sur la tenue du second tour des élections municipales, invoquant l’inadmissible suspension des droits politiques et des libertés publiques, mais sans parvenir à soulever l’indignation. Et c’est avec indifférence que le rejet du recours d’Ensemble à gauche par la Cour constitutionnelle a été reçu. «Les questions institutionnelles n’intéressent de toute façon qu’assez peu les gens, explique Pascal Sciarini, politologue à l’Université de Genève. Mais en temps de crise, lorsque se font sentir des besoins supérieurs et impérieux, la politique politicienne apparaît comme secondaire.»
Raison pour laquelle les partis situés plus au centre de l’échiquier politique se font discrets, conscients qu’en période de tempête mieux vaut ne pas polémiquer. Ils observent aussi une trêve dans les critiques adressées d’ordinaire à la gestion des exécutifs: stérile. «Les partis se rendent compte que ce serait déplacé, voire même risqué pour eux, de se profiler en temps de crise majeure, note Pascal Sciarini. Mieux vaut se faire petit derrière la cause commune, une attitude que la Suisse connaît bien, étant fondée sur ce principe.» Le politologue note aussi que, dans les périodes perturbées, les électeurs ont tendance à se rallier aux positions centristes, jugées plus raisonnables.
La stratégie du rassemblement, c’est celle que le PLR genevois a tenté de faire entendre cette semaine. Il a invité tous les partis siégeant au Grand Conseil à mettre de côté les divergences qui les opposent, à apporter un soutien fort au Conseil d’Etat et à remercier la population pour son engagement: «Dans les temps compliqués, il faut laisser de côté les désaccords, sur lesquels on reviendra après, pour se concentrer sur l’essentiel, estime Bertrand Reich, président du PLR genevois. Or il faut être unis pour vaincre. La question primordiale, en ce moment, c’est celle du pouvoir vivre ensemble.»
Mais cet appel est resté sans échos, apparaissant négligeable au regard de la recherche frénétique de solutions aux nombreux problèmes. Peut-être aurait-il retenu l’attention, de par sa singularité, s’il avait été signé par d’autres partis. Président du PS genevois, Gérard Deshusses explique avoir été sollicité pour soutenir ce document mais avoir décliné. Par stricte observance de la distance (sociale) avec la droite? «Non, je trouve que c’est en soi une bonne idée mais nous estimons avoir une obligation de conserver notre indépendance vis-à-vis du gouvernement.»
«Un alignement derrière la bannière, la patrie»
Les gouvernements, sur lesquels les yeux sont désormais rivés. A la dépolitisation des partis se superpose la surpolitisation des exécutifs, explique François Cherix: «Pendant que le rôle traditionnel des partis comme agitateurs disparaît, le rôle des fournisseurs de solutions est exacerbé. On assiste à un alignement derrière la bannière, la patrie, les guides qui vont pouvoir nous indiquer la sortie du tunnel.» C’est le retour de l’officiel et des figures révélées par la crise, celles qui dépassent les positionnements idéologiques. Une situation déconcertante pour les partis, dont le virus a temporairement cassé la voix.
■