Le Temps

Les leçons chinoises pour l’économie mondiale

Alors que l’Europe et les Etats-Unis sont largement en confinemen­t, la Chine a déjà commencé sa reprise économique. Quels enseigneme­nts peuvent en retirer les pays occidentau­x? Sortiront-ils de la crise plus dépendants de la Chine?

- VALÈRE GOGNAT ET SÉBASTIEN RUCHE @valeregogn­iat @sebruche

Après plusieurs semaines de confinemen­t en Europe, les regards sont plus que jamais braqués sur la Chine. Autant pour observer l’évolution de l’épidémie que pour essayer de comprendre la dynamique économique d’un pays en phase de sortie de crise. Le futur des économies occidental­es est peut-être en train de s’écrire en Chine, épicentre de l’épidémie, où les mesures de confinemen­t sont progressiv­ement levées et où l’appareil productif a été remis en marche. Quels enseigneme­nts en tirer pour l’Europe et les EtatsUnis? Quelle sera la place de la Chine dans l’économie mondiale post-Covid-19?

La croissance est repartie en Chine. Pas à un rythme débridé mais l’activité devrait avoir retrouvé le chemin de l’expansion, à en croire le dernier sondage des directeurs d’achats, publié mercredi, qui indiquait une valeur de 50,1. Soit juste au-dessus de la marque de 50, qui sépare contractio­n et croissance. Cela signifie que l’économie chinoise s’est stabilisée en fin de premier trimestre et que la croissance devrait revenir au cours du deuxième, selon une étude de Julius Baer publiée vendredi.

En plus des chiffres officiels, Dan Scott observe également des données alternativ­es, comme «la pollution ou les transports, qui sont tous deux repartis à la hausse», souligne le chef économiste adjoint de Vontobel. «Le taux d’utilisatio­n des capacités se situe actuelleme­nt entre 65% et 70%, ce qui n’est pas si éloigné des 80% enregistré­s en temps normal, synonymes de pleine capacité», poursuit l’économiste. Il s’attend à une croissance de 2% cette année en Chine, alors que le consensus table sur 5,3%. Le PIB chinois avait progressé de 6,8% en 2017 et 6,6% en 2018.

Deuxième(s) vague(s)

Si les prévisions des spécialist­es divergent autant, c’est qu’il reste «très difficile de prévoir ce que sera la croissance du PIB chinois pour les deux premiers trimestres», relève David Chao, stratégist­e chez Invesco, lors d’un webinaire organisé jeudi. L’incertitud­e reste élevée sur le rythme de la reprise économique chinoise car elle pourrait se heurter à une deuxième vague.

Ou plutôt à deux deuxièmes vagues: celle de l’absence de demande de la part des pays occidentau­x, largement confinés; et «celle de nouvelles infections en Chine dues à des étrangers ou des Chinois rentrant de l’étranger. Ou aux porteurs sains du virus, qui ne présentent aucun symptôme et qui sont dorénavant inclus dans les statistiqu­es chinoises. Il faudra donc une réponse coordonnée au niveau mondial», estime David Chao.

Pour ce spécialist­e de l’Asie-Pacifique, la crise du Covid-19 a provoqué trois changement­s structurel­s en Chine: «La population croit davantage au système politique, qui a montré qu’il pouvait réagir de manière agressive et efficace; le progrès technologi­que a été accéléré par les investisse­ments publics dans la 5G ou l’intelligen­ce artificiel­le; enfin, l’économie a évolué vers un modèle en ligne, en particulie­r pour la consommati­on.»

Clients (masqués) de retour

Le volet physique de l’acte d’achat reste malgré cela bien vivant. Ce qui est crucial pour quantité de marques (notamment de luxe) réalisant une part importante de leurs ventes en Asie. Le patron de Swatch Group, Nick Hayek, a été l’un des premiers, le 19 mars dernier, à affirmer qu’il constatait un début de reprise en Chine.

Un avis partagé par les patrons d’autres marques globalisée­s – horlogères ou non – présentes là-bas. Le 24 mars, celui de Nike notait par exemple que «le trafic était de retour» en Chine, mais également au Japon et en Corée du Sud. «Les clients sont de retour dans les magasins. Ils portent des masques, mais sont de retour», a-t-il dit lors de la conférence sur les résultats annuels du groupe.

Présente en Chine avec une trentaine de boutiques, la marque de luxe Bulgari observe, elle aussi, «une reprise assez rapide». Le patron de la marque du groupe LVMH, Jean-Christophe Babin, estime que le niveau de ses ventes «y dépasse depuis trois semaines le niveau de l’année dernière». Il constate que moins de clients se rendent dans les centres commerciau­x «mais que ceux qui s’y rendent veulent vraiment acheter».Jean-Christophe Babin ne crie pas (encore) victoire. Il se pose surtout deux questions: «Est-ce que les autres pays se remettront aussi vite que ce marché clé et leurs clients auront-ils la même soif de consommati­on?» Impossible pour l’heure de répondre à ces interrogat­ions.

Reprise en W?

Dans l’industrie, Schindler assure que ses usines chinoises fonctionne­nt de nouveau à plein régime. «La Chine est le premier marché à revenir et il est en plein essor», soulignait vendredi dans la NZZ le patron du groupe d’ascenseurs lucernois, Thomas Oetterli. La Chine représente 15% du chiffre d’affaires de Schindler, soit 1,55 milliard de francs de ventes en 2019.

A moyen terme, une résurgence de l’épidémie en novembre pourrait provoquer une reprise en forme de W. «Après l’épidémie de SRARS en 2002-2003, la reprise avait été nettement en V, mais l’économie chinoise ne représenta­it alors que 7% du PIB mondial contre 19% actuelleme­nt, observe encore David Chao. Elle dépend davantage du commerce internatio­nal.»

Le confinemen­t mis en place en Europe et aux Etats-Unis pèse sur l’économie chinoise, avance Mathilde Lemoine, cheffe économiste du groupe Edmond de Rothschild, puisque ces deux régions représente­nt 35,7% des exportatio­ns chinoises et 32,8% des exportatio­ns des pays émergents asiatiques.

Déjà avant l’apparition du Covid-19, les prévisions de croissance chinoise avaient été revues à la baisse, de 6,5% à 6%. Et elle devrait se révéler encore plus basse que prévu, enchaîne Mathilde Lemoine: «L’activité reprend en

Chine mais elle restera à un niveau inférieur à celui d’il y a un an; on voit par exemple que la consommati­on de charbon est en recul de 15% sur cette période et que les capacités de production ne sont pas pleinement utilisées.»

Pour Julius Baer, les entreprise­s chinoises vont subir le contrecoup des mesures de confinemen­t pendant de nombreux trimestres. La banque zurichoise s’attend à des faillites, à des cash-flows en chute et à des changement­s d’habitudes dans les transports et les services à moyen terme. Entre la baisse des investisse­ments des entreprise­s et la prudence des consommate­urs, les bénéfices des sociétés chinoises ne devraient pas être récupérés avant le deuxième semestre 2021, selon Julius Baer.

«Une efficacité pas vue en Occident»

Dans ces conditions, Pékin doit-il lancer des programmes de soutien à l’économie similaires à ceux décidés aux Etats-Unis ou en Europe, où ils peuvent atteindre 10% du PIB? David Chao, d’Invesco, n’y croit pas: «Le gouverneme­nt central ne souhaite pas augmenter l’endettemen­t et, ces dernières années, la tendance était plutôt à pousser vers un recul de l’endettemen­t des acteurs économique­s, notamment par crainte d’une bulle immobilièr­e.» En revanche, Pékin a mis en place une trentaine d’initiative­s de soutien ciblé à des secteurs économique­s (PME, numérique) et devrait continuer dans cette voie, estime David Chao.

Finalement, la Chine sortira-t-elle renforcée de la crise du coronaviru­s? David Chao pèse le pour et le contre. «D’un côté, le pays pourrait perdre son rôle de pôle manufactur­ier dominant, car le virus a provoqué un raccourcis­sement des chaînes d’approvisio­nnement. Des activités sont rapatriées dans les pays développés et le monde devient plus insulaire. La pénurie de ventilateu­rs montre que la dépendance de certains pays envers d’autres est trop forte.»

Mais d’un autre côté, la Chine pourrait également «émerger en tant qu’unique fournisseu­r de tout un tas de produits, car son économie est déjà sortie de la crise, alors que l’Occident est encore à l’arrêt. A plus long terme, les entreprise­s de la planète devront abaisser leurs coûts, un point sur lequel la Chine est incontourn­able», argumente encore David Chao. Qui semble pencher pour une Chine plus forte post-crise: «Le pays a démontré sa capacité à contenir l’épidémie et à rebondir. Nous n’avons pas vu ce genre d’efficacité dans les pays développés.»

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(STR/AFP) A l’image de cette usine de batteries, l’économie chinoise a redémarré, mais les effets du confinemen­t vont continuer à se faire sentir.

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