Le Temps

«Run», l’échappée belle de deux anciens amoureux de jeunesse

- VIRGINIE NUSSBAUM @Virginie_Nb

La dernière production HBO, «Run», disponible sur OCS, met en scène deux anciens amoureux de jeunesse qui décident de tout quitter pour se retrouver, dix-sept ans plus tard, dans un train direction Chicago. Une fuite en avant jouissive avec, à la barre, l’incontourn­able Phoebe-Waller Bridge

Dans le monde des séries, il y a un nom, composé, que l'on ne peut désormais plus ignorer: Phoebe Waller-Bridge. Vous le connaissez si vous appartenez au (large) fanclub de Fleabag, portrait d'une trentenair­e libérée et légèrement névrosée écrit, puis porté à l'écran, par cette comédienne britanniqu­e en 2016. Des gags merveilleu­sement grinçants et une brise féministe: la série – qui a fait l'objet d'une adaptation française avec Camille Cottin – a conquis le public et révélé les talents d'une show-runneuse désireuse de bousculer les codes.

Depuis, Phoebe Waller-Bridge est de tous les projets: créatrice de Killing Eve, autre fiction à succès dont la troisième saison vient d'être dévoilée, elle a interprété un droïde effronté dans Solo: A Star Wars Story et pimenté le scénario du prochain James Bond – à la demande de Daniel Craig himself. Pas surprenant donc que la nouvelle série HBO, qui compte Waller-Bridge au casting (en tant qu'actrice et coproductr­ice, aux côtés d'une ancienne de Fleabag, Vicky Jones), ait attisé toutes les curiosités. Ou peut-être était-ce son synopsis, ultime fantasme de nos esprits confinés…

Pacte fou

Car Run, diffusée en Suisse sur OCS depuis le 13 avril, raconte l'histoire d'une escapade – ou plutôt, d'une fuite. Celle de Ruby Richardson (Merritt Wever, formidable enquêtrice dans Unbelievab­le) et de Billy Johnson (le rouquin Domhnall Gleeson, qu'on a pu voir en général Hux dans Star Wars). Sur les bancs de l'université, ces deux amoureux avaient conclu un pacte fou: si la vie ne leur souriait pas, ils pourraient toujours tout quitter pour se retrouver au Grand Central Terminal de New York et partir arpenter les Etats-Unis. Il leur suffirait de s'envoyer mutuelleme­nt un bête SMS avec trois lettres: RUN.

Le premier épisode s'ouvre au moment où Ruby reçoit le fameux message, sur un parking de supermarch­é… en plein coup de fil avec son mari. Dix-sept ans ont passé. Pourtant, il ne lui faut que quelques secondes de réflexion avant de tapoter, fébrilemen­t, sa réponse. La série non plus ne s'attarde pas à planter le contexte: quatre minutes chrono plus tard, voilà Ruby, mère de famille, et Billy, coach de vie à succès, dans un train bringuebal­ant direction Chicago.

Excitation et culpabilit­é

Les retrouvail­les auraient pu être collantes d'embrassade­s et de «tu n'as pas changé» mielleux. Au contraire, elles se révèlent ambivalent­es voire un brin absurdes. Imaginez deux presque quadragéna­ires qui se coursent dans le wagon-restaurant, hésitent à poser les questions qui fâchent (à commencer par les appels incessants du mari de Ruby), flirtent ostensible­ment, se cognent à tous les objets qu'on trouve dans une voiture-couchette et surtout, n'ont aucune idée de ce qu'ils font là, tiraillés chacun dans leur coin entre l'excitation et la culpabilit­é. Bref, on est loin d'une romance à la Ethan Hawke et Julie Delpy dans Before Sunrise.

Et on reconnaît bien ici la patte de Phoebe Waller-Bridge, spécialist­e des personnage­s (en particulie­rs féminins) ambigus, maladroits, mais décomplexé­s et délicieuse­ment réalistes. Ruby est tout ça à la fois, elle qui affiche ouvertemen­t son désir tout en assumant mal un corps qui, forcément, a vieilli. Et représente aussi la figure indigne par excellence: une mère qui a préféré le frisson de l'inconnu à ses enfants.

Merritt Wever, qui a remporté un Emmy Award en 2018 pour son rôle de veuve au fusil dans Godless, est tout aussi parfaite en tête brûlée en goguette – et l'alchimie avec son compagnon de voyage, électrique.

Ni vraiment comédie romantique, ni road trip décalé, Run passe d'un ton à l'autre à la vitesse d'un TGV et prend même, dès le troisième épisode, des airs de thriller. Car s'il semble au premier abord que les amoureux fuient l'ennui d'une vie trop rangée, ils sont en réalité poursuivis par des secrets du passé, que la série dévoile au compte-goutte et emboîte par flash-back.

Un peu éparpillée par moments, la série déborde tout de même de rebondisse­ments, de sensualité et de charme, et invoque une question que l'on s'est tous déjà posée: et si on repartait à zéro, pour être quelqu'un d'autre? «J'ai toujours fantasmé que j'étais deux personnes à la fois: celle, normale, qui vit avec mon mari, et quelqu'un de vraiment fun», lâche Ruby, cheveux au vent sur une péniche à Chicago.

La pandémie actuelle rend l'embarqueme­nt sur un quelconque bateau difficile. Mais rien n'empêche de laisser nos esprits divaguer, comme les personnage­s de la série, dans des réalités parallèles.

Ni vraiment comédie romantique, ni road trip décalé, «Run» passe d’un ton à l’autre à la vitesse d’un TGV

Run, série HBO en sept épisodes de 25 minutes, disponible en Suisse sur OCS (via Canal+ ou Teleclub).

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(HBO) Les retrouvail­les auraient pu être collantes d’embrassade­s et de «tu n’as pas changé» mielleux. Au contraire, elles se révèlent ambivalent­es voire un brin absurdes.

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