Les investissements dans les start-up européennes tournent au ralenti
Le financement des jeunes pousses est entravé par la crise du coronavirus. Après un arrêt net, les investisseurs en capital-risque reprennent lentement leur activité, en faisant preuve de davantage de frilosité
Devenues monnaie courante ces dernières années, les annonces de levées de fonds opérées par des start-up se font déjà un peu plus rares. En mars, Dealroom a observé une baisse de l’activité de 33% par rapport au moins de janvier. Un avant-goût du recul redouté des investissements en capital-risque, principale source de financement des jeunes entreprises.
Car «c’est surtout à partir de mai que l’on verra l’impact de la crise», prévient Yoram Wijngaarde, cofondateur de Dealroom, une société hollandaise qui scrute le marché européen des jeunes pousses. La plupart des annonces actuelles concernent des négociations qui étaient déjà bien avancées avant la pandémie.
Depuis de nombreux mois, la scène européenne des start-up connaissait un essor sans précédent. Stimulées par l’abondance de liquidités, les valorisations atteignaient des niveaux record, laissant présager une imminente correction. Selon le rapport EY sur l’investissement dans les start-up, publié mardi, les investissements ont d’ailleurs commencé à se contracter durant le deuxième semestre 2019.
«On se trouvait en haut de cycle, mais on observait déjà des signes de ralentissement, confirme Amaury Bonnaire, responsable de l’activité stratégie et transactions pour la Suisse romande chez EY. Mais d’une part, les fonds de capital-risque avaient levé beaucoup de fonds, et d’autre part, on espérait plutôt un ralentissement en douceur.»
Le coronavirus agit donc comme un accélérateur. «La purge risque d’être plus brutale», avertit Amaury Bonnaire. Trop brutale. «Une correction partielle était nécessaire, mais la situation économique globale a changé, ce qui n’est pas bon», s’inquiète ainsi Yoram Wijngaarde, précisant que la valeur de certains «deals» est désormais diminuée de moitié.
C’est qu’à l’instar de nombreux acteurs économiques, les fonds de capital-risque n’aiment pas l’incertitude. Et à l’heure actuelle, il est impossible de savoir quel scénario économique va se dessiner, comment la crise sanitaire va évoluer, et si les bouleversements qu’elle induit vont contraindre certaines sociétés à revoir leur modèle d’affaires.
En conséquence, les investisseurs sont nombreux à avoir gelé leurs opérations et se recentrent sur leur portefeuille de start-up. «Ils analysent quelles sociétés nécessitent leur soutien actif», observe Amaury Bonnaire.
Et pourtant, à court terme, l’argent ne manque pas car plusieurs grands fonds avaient levé des montants avant que le coronavirus ne sévisse. Avec un bémol pour la Suisse, nuance Thomas Heimann, spécialiste du capital-risque au sein de l’association suisse des investisseurs privés: sa trop forte dépendance envers l’étranger lorsqu’il s’agit de montants conséquents. Plusieurs fonds ont été récemment lancés en réponse à cette lacune, mais tous n’ont pas fini leur financement et rencontrent les mêmes problèmes que les start-up.
Quoi qu’il en soit, les investisseurs vont inévitablement se montrer plus frileux. «Des pertes ont été opérées sur le marché des actions, signale Thomas Heimann. Ils ne voudront pas en réaliser davantage.»
Un impact différencié
Les observateurs du domaine s’attendent à un impact différencié: «Pour les entreprises en phase de préfinancement, il va devenir plus difficile de lever des fonds, prédit Yoram Wijngaarde. Ce sera plus facile pour les tours de table suivants (les séries A et B), mais de nouveau plus délicat pour les entreprises plus âgées qui cherchent à lever plus de 50 millions d’euros.»
Un constat fait l’unanimité: une très bonne société trouvera toujours des investisseurs, même si elle risque de subir une pression à la baisse sur le montant injecté.
En effet, du point de vue du fonds de capital-risque qui investit dans la durée – huit à dix ans –, les ralentissements sont souvent sources de belles affaires. «Actuellement, c’est gelé, constate Amaury Bonnaire, mais cela ne va pas durer éternellement car les fonds vont devoir investir. Et souvent les crises se révèlent être de bons millésimes pour les investisseurs qui deviennent plus sélectifs et profitent de prix à la baisse.»
▅
«Souvent les crises se révèlent être de bons millésimes pour les investisseurs»
AMAURY BONNAIRE, RESPONSABLE ROMAND STRATÉGIE ET TRANSACTIONS, EY