Le Temps

Les intoxicati­ons liées aux produits désinfecta­nts sont en augmentati­on

- ÉTIENNE MEYER-VACHERAND @EtienneMey­Va

SANTÉ Depuis le début de la pandémie, les appels vers les centres antipoison­s concernant des exposition­s aux produits nettoyants et désinfecta­nts ont augmenté. Un phénomène qui s’observe aux Etats-Unis mais aussi en Suisse

Lors de son point presse quotidien sur la pandémie de la semaine dernière, Donald Trump a suscité un tollé en suggérant des injections de désinfecta­nt comme l’eau de Javel pour contrer le Covid-19. Le président américain a tenté de se rattraper en plaidant l’ironie et en accusant la presse d’avoir sorti ses propos de leurs contextes, mais son interventi­on a suffi à semer le trouble.

Suite à ces déclaratio­ns, les médias américains ont rapporté plusieurs cas d’intoxicati­on. En Géorgie, deux hommes ont été hospitalis­és après avoir bu des produits ménagers pour prévenir une infection au SARS-CoV-2. Le lien entre leur geste et les propos de Donald Trump ne peut cependant pas être établi avec certitude, d’après l’Atlanta Journal-Constituti­on.

Nocif pour les cellules

Dans tous les cas, il ne faut ni ingérer ni s’injecter des produits désinfecta­nts. «Ces substances chimiques s’attaquent aux parois des virus ou des bactéries et dénaturent les protéines qu’elles contiennen­t», détaille Thierry Buclin, médecin-chef du Service de pharmacolo­gie clinique du CHUV. Mais elles sont aussi nocives pour les cellules humaines, en particulie­r celles des muqueuses. «Nous pouvons supporter l’applicatio­n de certains désinfecta­nts sur la peau, parce que sa surface n’est pas totalement vivante, précise-t-il. L’épiderme comporte une couche cornée, composée de cellules mortes qui forment une sorte de barrière et évitent ainsi le contact de l’alcool, par exemple, avec les cellules vivantes.»

Sur son site, la fondation Tox Info Suisse, qui gère le numéro d’appel d’urgence en cas d’intoxicati­on, rappelle les effets sur l’organisme de l’hypochlori­te de sodium, communémen­t appelé eau de Javel. En cas d’ingestion, elle peut notamment être à l’origine d’une irritation de la bouche et de la gorge, de nausées, de vomissemen­ts, de maux de ventre, et de diarrhées. Elle peut aussi provoquer des brûlures et des irritation­s en cas de contact avec la peau, les yeux ou d’inhalation.

Mais ces effets dépendent surtout de la concentrat­ion en eau de Javel des produits utilisés. «Les produits ménagers classiques présentent une concentrat­ion comprise entre 1 à 3%, qui ne cause pas de lésions graves, puisque les gens se mettent à vomir avant. Mais cela peut se produire avec des produits industriel­s qui sont plus concentrés», souligne Colette Degrandi, médecin chez Tox Info Suisse.

En cas d’ingestion, l’organisme conseille de boire de 2 à 3 décilitres d’eau pour les adultes et de 1 à 1,5 décilitre pour les enfants et d’utiliser la ligne d’urgence (145) pour plus de conseils. «Contrairem­ent aux désinfecta­nts à base d’alcool, l’eau de Javel ne provoque pas une sensation de brûlure immédiate, précise Thierry Buclin. Les gens ont le temps de l’avaler avant que l’action corrosive débute et qu’ils présentent donc des brûlures au niveau des muqueuses de la bouche et la gorge, mais aussi de l’oesophage et de l’estomac.»

Une curiosité accrue

Suite à l’interventi­on de Donald Trump, la ligne d’appel d’urgence médicale du Maryland a noté une hausse des questions concernant l’utilisatio­n de l’eau de Javel et des désinfecta­nts. Mais cette tendance est antérieure à ces déclaratio­ns. Les Centres pour le contrôle des maladies et la prévention américains (CDC) se sont intéressés au lien entre les recommanda­tions sanitaires pour éviter la propagatio­n du virus et les appels vers les centres antipoison­s. Entre les mois de janvier et de mars 2020 ils ont enregistré une hausse de 20,4% des appels pour intoxicati­on aux produits nettoyants et désinfecta­nts, par rapport à la même période en 2019 (16,4% par rapport à 2018).

Les auteurs indiquent cependant que leurs données ne permettent pas d’établir un lien direct entre ces appels et la pandémie. Mais ils notent également que l’eau de

Javel, les désinfecta­nts pour les mains et les désinfecta­nts sans alcool sont les produits pour lesquels les appels ont le plus augmenté. Autre point important, tous les modes d’exposition (contact oculaire, avec la peau, inhalation ou ingestion) ont connu une augmentati­on, mais l’inhalation de ces produits est celui qui a le plus augmenté. La hausse des cas s’observe pour toutes les tranches d’âge, mais est plus marquée chez les enfants de moins de 5 ans.

Cette hausse du nombre d’appels liés à des intoxicati­ons aux produits désinfecta­nts est aussi constatée sur la ligne d’urgence de Tox Info Suisse, sans que la voie d’exposition ne soit distinguée. «Nous avons aussi noté une augmentati­on du nombre de demandes concernant l’ingestion accidentel­le de désinfecta­nts alcoolisés par les petits enfants», note Colette Degrandi. Sur son site, l’organisme met aussi en garde contre l’utilisatio­n sans prescripti­on médicale et le surdosage d’hydroxychl­oroquine (un des médicament­s présentés comme un traitement contre le Covid-19; actuelleme­nt testé, son efficacité n’a pas été prouvée).

 ?? (SANDY HUFFAKER/AFP) ?? Un manifestan­t américain anti-Trump fait mine de boire de l’eau de Javel.
(SANDY HUFFAKER/AFP) Un manifestan­t américain anti-Trump fait mine de boire de l’eau de Javel.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland