Bienvenue à Novel, village savoyard confiné toute l’année
Novel, 48 habitants en Haute-Savoie, est habitué à l’isolement. Le Covid-19 y a peu modifié les comportements. Mais ses huit frontaliers qui chaque jour rallient la Suisse, comme ceux qui prennent le bateau YvoireNyon, font preuve de beaucoup de prudence
La troisième étape de notre périple le long de la frontière qui décrit comment le Covid-19 transforme les relations entre la Suisse francophone et ses voisins fait escale dans le Chablais français, dans le village de Novel plus précisément. Cette commune de 48 habitants perchée sur la montagne est habituée à l’isolement. Ce petit hameau posé au bout du monde n’a eu à déplorer jusque-là aucun cas de coronavirus. La pandémie n’a donc pas vraiment bouleversé les habitudes de vie. Mais ses huit travailleurs frontaliers qui chaque jour rallient la Suisse font particulièrement preuve de prudence.
La route depuis Saint-Gingolph (VS/F) est pour le moins sinueuse. Elle mène à Novel (F), 9 kilomètres plus haut, commune perchée entre 800 et 2000 mètres d’altitude. «C’est le bout du monde parce qu’au-delà, il y a la montagne et rien d’autre», dit-on ici. Le Grammont et la Dent d’Oche, massifs du Chablais, peinent à percer ce matin-là la masse nuageuse. Novel, perchée au bout de la route forestière, est la plus petite commune de Haute-Savoie, 48 habitants. Un pas sur la gauche et l’on change de pays. C’est dire combien le hameau est proche de la Suisse.
Une envie d’en savoir plus en cette époque de confinement sur ce village confiné toute l’année. Bonne nouvelle: Novel n’a eu à déplorer jusque-là aucun cas de coronavirus. C’est Corinne Delot, la maire en exercice, qui nous l’apprend. On la retrouve dans sa petite mairie, un chalet parmi d’autres identifié à ce drapeau tricolore sur le fronton et au traditionnel panneau d’affichage. La pandémie n’a pas bouleversé les habitudes de vie de Novel. Rien à adapter ou à mettre en place, puisque la distanciation sociale et physique est ici en vigueur toute l’année. Et l’entraide est, par la force des choses, une pratique usuelle.
«Quand quelqu’un descend à SaintGingolph ou à Evian-les-Bains, il remonte les commissions des voisins», dit Corinne Delot. Il reste que madame la maire a tout de même commandé sur internet 200 masques qui devraient arriver à la mi-mai. «Trois euros la pièce, c’est cher pour le budget annuel de la mairie, qui est de 60000 euros. La Région nous en a promis à 2 euros, mais on ignore la quantité et la date de livraison», détaille-t-elle. Aucune crainte en ce qui concerne le désinfectant hydroalcoolique. La société des Eaux d’Evian a offert 100 flacons de 220 ml au village. Le souci est que les petites bouteilles ressemblent un peu trop à celles que l’on trouve dans les supermarchés au rayon boissons. Les parents ont été avisés qu’elles doivent être maintenues hors de portée de leurs enfants.
Pas de contaminé, mais le village demeure exposé. Rares sont ceux qui montent à Novel (le facteur, quelques livreurs), nombreux sont ceux qui se risquent à descendre, notamment pour se rendre au travail. Dont huit frontaliers qui travaillent entre autres à Lausanne, Aigle, Villeneuve. Novel leur doit, en partie, d’être une bourgade qui connaît un essor démographique. «Nous avons eu deux naissances en 2019 et deux autres sont prévues cette année», se félicite l’édile. Son idée a été de faire venir de jeunes couples «pour sauver le village». Les atouts: le coût de l’immobilier, nettement inférieur à celui pratiqué en Suisse et sur les rives françaises du Léman, un air pur et la fibre optique que Corinne Delot a réussi à hisser jusqu’au village.
Moins cher qu’en Suisse
Judicieuse anticipation. Novel, ainsi connectée, peut télétravailler durant la crise sanitaire. «Le débit est parfois lent quand on est plusieurs en ligne, mais je peux échanger avec la Préfecture.» Plusieurs familles suisses se sont installées. Amandine Benet, originaire de Bouveret (VS), a acquis un chalet en mai 2019. Simon, son mari, travaille à Aigle (VD). «Un coup de coeur, résume-t-elle. C’est beaucoup moins cher qu’en Suisse, et ça nous réussit bien parce que j’attends mon troisième enfant.» Le coronavirus? «Mon fils a des petits problèmes respiratoires, alors on fait attention. Au travail, mon mari applique rigoureusement toutes les mesures de précaution.»
Les Molodozeniec sont venus, eux, de nettement plus loin: Nouméa. Céline et Yoann ont travaillé là-bas pour une chaîne d’hôtellerie durant dix ans. Ils ont repris l’auberge communale de Novel, fermée depuis des lustres. Onze chambres, un dortoir de 12 lits et un service au restaurant sept jours sur sept. Ils ouvrent de Pâques à octobre, en sont à leur troisième saison. Cette quatrième s’annonce difficile, à cause du coronavirus. Corinne Delot cherche de quelles aides ils pourraient bénéficier.
Leur clientèle est composée de randonneurs venus de tous les coins de l’Europe qui traversent les Alpes. Les Molodozeniec misent donc cet été sur le tourisme local, qu’il soit français ou suisse. «Les Helvètes aiment bien Novel, sans doute à cause de son côté village authentique», juge la maire. L’autre jour, une vingtaine de jeunes a franchi la barrière douanière au lieu-dit du Pont, à un kilomètre dans le contrebas du village. «Ils ont organisé un grand pique-nique, quelqu’un les a dénoncés et la police est montée les amender», relate Corinne Delot.
A bord du Coppet
Simon Benet se rend chaque matin sur son lieu de travail en voiture, via Saint-Gingolph. La douane n’a pas fermé. Il n’y avait guère le choix. Car ceux qui travaillent dans le district d’Aigle ou sur la Riviera sont le plus souvent contraints de prendre leur automobile. Pour Lausanne et Nyon, la Compagnie générale de navigation (CGN) a maintenu des traversées. Les croisières touristiques ont été supprimées, tandis que l’offre de transport public a été réorganisée. Depuis le 11 mars, le nombre de passagers a été limité pour laisser un siège libre entre les pendulaires, comme il est recommandé.
Conséquence: la ligne N2 Thonon-lesBains – Lausanne a été suspendue, elle sera partiellement réouverte le 11 mai; tandis que la N1 (Evian-les-Bains – Lausanne) et la N3 (Yvoire-Nyon) ont augmenté leur cadence. Au total, 16 départs quotidiens avant 9h. Mille cinq cents passagers chaque jour, contre 5500 en temps normal. A 7h50 à Yvoire, ce matin-là, deux bateaux sont en approche dont le Coppet. Sept personnes montent dans ce dernier, contre une vingtaine dans l’autre, nettement plus spacieux.
Voyage confortable
Atmosphère détendue à bord. Personne ne porte le masque et la recommandation d’une personne par banquette est suivie. Julien Vionnet est technicien chez RollsRoyce à Nyon. «Lors de la première quinzaine, je n’ai pas travaillé. On commence à reprendre doucement, au rythme de deux jours par semaine», explique-t-il. Caroline travaille, elle, chez Migros, rattachée à la direction commerciale: «Pendant vingt-cinq ans, j’ai fait Thonon-lesBains – Genève en voiture. La traversée en bateau est de 20 minutes, et nous ne sommes jamais serrés les uns contre les autres. Je dirais que pendant cette période exceptionnelle, nous voyageons encore plus confortablement. Les gens ont sans doute peur de prendre les transports en commun.»
Plus tôt le matin, à 6h10 et à 7h, ce sont surtout les personnels de l’hôpital de Nyon qui utilisent la navette lacustre. Un naviguant de la CGN raconte: «On sait immédiatement qui est infirmière, par exemple, les comportements sont différents. Une soignante ne touche à rien dans le bateau, elle s’assoit et ne bouge plus.» A Nyon, les usagers sont contrôlés sur le débarcadère. Vérification rapide. Un douanier: «Ces gens travaillent, comme nous.»
«Des jeunes ont organisé un grand piquenique, quelqu’un les a dénoncés et la police est montée les amender»
CORINNE DELOT, MAIRE DE NOVEL