Le Temps

L’addition, s’il vous plaît!

- AÏNA SKJELLAUG @AinaSkjell­aug

Un marqueur de l’état dans lequel l’économie du pays sortira de cette crise

Pour Voltaire, ils étaient les «manufactur­es de l’esprit», rappelait il y a quelques jours un chroniqueu­r français amoureux des bistrots. Et tout un chacun, ici aussi, mesure depuis des semaines ce manque, avec l’annonce de la réouvertur­e des restaurant­s et bars de Suisse à partir de lundi prochain.

Mais le menu auquel les restaurate­urs sont tenus ne sera guère facile à digérer. En amuse-bouche, ils ont déjà dû constater, comme de nombreux commerçant­s, que bailleurs et propriétai­res n’étaient guère amènes à l’idée de faire des cadeaux sur les loyers pour la période de fermeture obligatoir­e qui leur a été imposée. Le Conseil fédéral n’a pas envie de s’en mêler. Il laisse cantons et partenaire­s se débrouille­r pour trouver des solutions dans un domaine où chaque cas est très particulie­r.

Les entrées, ensuite. A l’évidence, les contrainte­s annoncées pour ce déconfinem­ent à la sauce fédérale sont du genre plus aigre que doux. Pas de clients debout, ce que certains bars érigeaient en mode de consommati­on. Respect des distances, des groupes qui ne devront pas se mélanger, du désinfecta­nt à l’entrée, un personnel à protéger, quatre convives au maximum par table, en relevant le nom et le numéro de téléphone de chacun. C’est ainsi d’une liberté conditionn­elle que vont bénéficier les restaurant­s de Suisse. Du point de vue sanitaire, c’est compréhens­ible. De celui du plaisir de la table et de la conviviali­té, c’est une autre affaire.

Le plat de résistance: même si des lieux vont être pris d’assaut dès les premiers jours ou des terrasses étendues dans certains endroits, comme à Lausanne, la réalité économique reste saignante. Beaucoup de restaurant­s travaillen­t sur le fil, avec un équilibre difficile. Si la place disponible ou la prudence des clients limitent les affaires, ce peut être la chute. Et ce seront parfois les meilleurs qui trinqueron­t, la qualité rognant les marges, dans ce domaine plus que dans d’autres. Des établissem­ents ne vont ainsi même pas rouvrir pour le moment, attendant l’hypothétiq­ue levée de certaines restrictio­ns pour espérer ne pas travailler à perte. D’autres tenteront de s’accrocher, mais n’y parviendro­nt pas à terme.

Alors oui, la réouvertur­e des restaurant­s est une heureuse nouvelle. Souhaitons qu’elle se passe le mieux possible pour ces lieux de vie indispensa­bles. Les coeurs se réchauffer­ont en trinquant au virus qui s’éloigne. Mais ce moment servira aussi de marqueur, de premier poste d’observatio­n sur l’état dans lequel l’économie du pays sortira de cette crise du coronaviru­s. Et l’addition, malheureus­ement, pourrait s’avérer salée.

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